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IV.

Quand on a visité la ville de Manfred et gravi, si on en a le temps, jusqu’à Monte Sant’ Angelo, sur la croupe du Gargano, pour y visiter le fameux sanctuaire de Saint-Michel, le plus ancien qui ait été dédié en Occident à l’archange, lieu de rendez-vous d’un immense pèlerinage, il faut revenir à Foggia, en faisant de nouveau la même ennuyeuse route, pour se rendre à Lucera. On va en deux heures d’une ville à l’autre par un beau chemin carrossable, qui court en ligne droite dans la plaine nue sans que, pour ainsi dire, une seule habitation s’élève sur ses bords. Les cultures sont cependant plus multipliées sur ce trajet que sur celui de Manfredonia. A sa droite on a le Gargano, à sa gauche la chaîne de l’Apennin, précédée d’ondulations, sur la pointe d’une desquelles on distingue le groupe des maisons de Troja, ville fondée au commencement du XIe siècle par le catapan byzantin Boyoannis, qui écrasa sur le champ de bataille de Cannes les premiers Normands venus dans la Pouille, ceux qui avaient répondu à l’appel de Melo.

En faisant ce chemin, l’esprit se reporte à la description saisissante que le chroniqueur Nicolas de Jamsilla, compagnon du prince dans cette aventure, fait du voyage de Manfred après sa fuite d’Aversa, en novembre 1254, et de la façon dont le fils de Frédéric dut marcher de nuit, au milieu des ténèbres et de la tempête pour gagner Lucera sans être aperçu des troupes pontificales postées à Troja et à Foggia, dans une plaine sans i u arbre où le passage d’une petite troupe de cavaliers devait être vu d’une très grande distance et attirer aussitôt l’attention.

Lucera s’élève sur une colline d’un certain relief, escarpée sur les côtés du nord et de l’ouest, en pente douce vers l’est et le sud, qui se détache à une certaine distance en avant des derniers contreforts de l’Apennin et commande au loin la plaine environnante. Ainsi préparé par la nature, le site en a toujours constitué une position stratégique de premier ordre, et depuis les débuts de l’histoire chez les populations de l’Apulie, nous y voyons exister une ville fortifiée dont le rôle est capital. Les Grecs prétendaient que cette ville de Luceria avait été fondée par Diomède, revenu d’Ilion, comme Arpi, Sipontum, Canusium et, en général, toutes les cités de quelque importance dans la Daunie et même dans une portion de la Peucétie; à l’époque romaine on y montrait encore un vieux xoanon que les habitans prétendaient être le Palladium enlevé de Troie par le héros argien.