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la construction de la ville, qu’il ordonna d’appeler Siponto-Novello, voulant effacer jusqu’au nom de l’héroïque vaincu de Bénévent. Mais la conscience populaire se refusa à cette injustice. Malgré les prescriptions et les efforts du farouche vainqueur, le nom de Manfredonia se maintint dans l’usage, et c’est celui que la ville a gardé jusqu’à nos jours.

Les écrivains contemporains vantent la splendeur de la cathédrale de Manfredonia, qui aurait reçu les reliques de saint Laurent, évoque de Siponto au Ve siècle, et surtout son magnifique campanile, dans lequel était suspendue une cloche énorme, la plus grosse que l’on eût encore fondue en Italie, dont le son se faisait, raconte-t-on, entendre jusqu’à six milles à la ronde. Malheureusement, la cathédrale, le campanile et en général tous les édifices de Manfredonia ont disparu dans le désastre qui frappa cette ville en 1620, lorsque les Turcs y opérèrent une descente et la brûlèrent entièrement après l’avoir pillée.

Ce qui reste le plus intact des travaux de Manfred, c’est le môle de belle construction, maintenu de chaque côté par de hauts gradins formés de grands blocs de pierre, qui s’avance fièrement dans la mer avec une longueur de près de 200 mètres. C’est sans contredit l’œuvre d’ingénieur maritime la plus puissante et la mieux combinée qu’ait léguée le XIIIe siècle. En tête de ce môle est le château fort, que Lautrec attaqua vainement dans sa dernière campagne. C’est une construction du règne de Charles d’Anjou, œuvre de son architecte maestro Giordano de Monte-Sant’ Angelo. Bien qu’en partie remanié et gâté par des appropriations postérieures, découronné de ses créneaux du moyen âge pour recevoir de l’artillerie sur ses plates-formes, il n’a pas subi de modifications trop profondes dans ses dispositions essentielles. C’est un haut et massif donjon carré, flanqué à ses angles de quatre grosses tours rondes, qu’enveloppe une enceinte extérieure reproduisant le même plan. Les remparts de la ville, garnis eux aussi de grosses tours rondes, subsistent en grande part et embrassent un espace que sont loin de remplir les huit mille âmes de la population actuelle. Avec cette enceinte, en partie vide, qui fait un vêtement trop large à la petite ville rebâtie au XVIIe siècle, Manfredonia est comme une sorte d’Aigues-Mortes de l’Adriatique. Notons, du reste, qu’on a reconstruit la nouvelle Manfredonia sur le plan de l’ancienne, avec les rues régulières se coupant à angles droits, et la disposition en échiquier que l’on observe constamment dans les villes créées de toutes pièces au XIIIe siècle.