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effroyable boucherie, parce que chaque mouton ou chaque bœuf mort fait du moins un droit qui n’entrera pas dans la caisse de l’ennemi.

Foggia compte aujourd’hui bien près de trente-neuf mille habitans. Renversée de fond en comble par un tremblement de terre en 1731, c’est une ville toute moderne, propre et animée, qui plaît beaucoup aux bourgeois et aux commis-voyageurs. Les rues en sont singulièrement larges; les maisons, solidement voûtées, aux toits plats, n’ont généralement qu’un étage au-dessus du rez-de-chaussée. Tout ceci est manifestement conçu pour éviter, en cas de nouveau tremblement de terre, le retour d’un désastre pareil à celui que la ville a subi il y a un siècle et demi. Une des curiosités du lieu est la vaste Piazza délie Fosse, dont le sol est entièrement creusé d’innombrables silos destinés à conserver, jusqu’au moment de leur vente, les grains recueillis dans les champs des alentours.

En raison de sa destruction au siècle dernier, Foggia n’a gardé que bien peu de vestiges de son brillant passé du moyen âge. Mais ce qui en subsiste a une réelle valeur. La cathédrale, bâtie en 1172 et où Manfred fut couronné en 1258, devait être, parmi les églises normandes de la Pouille, une des plus grandes et des plus pures de style. Malheureusement il n’en est resté debout qu’un lambeau, la moitié de la façade, que l’on a eu le bon goût, au XVIIIe siècle, de conserver en l’englobant dans la construction nouvelle. C’en est du moins assez pour juger de ce que l’édifice, quand il était complet, avait de majesté simple et d’imposante tournure, et pour faire déplorer la perte du reste. On retrouve à cette façade les mêmes pilastres carrés que nous avons déjà vus à celle de la cathédrale de Termoli.

Tout auprès, un débris du même genre marque l’emplacement du palais de l’empereur Frédéric II. C’est un arc de beau style, qui devait en former l’entrée principale et qui est aujourd’hui engagé dans la façade d’une maison particulière. Deux rangs de feuillage finement sculpté en décorent l’archivolte, dont les retombées sont reçues par deux aigles de face, tout à fait pareils à ceux qui sont figurés au revers des belles monnaies d’or de l’empereur désignées sous le nom d’augustales. Dans la maçonnerie moderne qui remplit l’arceau surmontant la porte de la maison, l’on a encastré une pierre provenant de la façade du palais. Elle porte une triple inscription qui en donne la date, juin 1223. Le palais était achevé au mois de mai 1225, époque où l’empereur vint s’y installer. Désormais ce fut une de ses résidences favorites; il n’était pas d’année qu’il n’y demeurât plusieurs mois. C’est là que mourut, en 1241, sa troisième femme, Isabelle d’Angleterre, qui fut enterrée dans la crypte de la