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l’Abruzze, qui se regardaient comme lésés dans leurs intérêts par une telle mesure, se jetèrent dans les rangs des bandes de malandrins soulevées par les partisans du gouvernement déchu et soudoyées par l’or britannique, que le général Manhès réprima, avec une si implacable énergie[1]. Pour payer leurs services, les Bourbons, une fois restaurés, abrogèrent par un édit royal de 1817 la loi de 1806 et rétablirent toutes les vieilles prescriptions d’Alphonse d’Aragon, détestable retour à l’une des plus fâcheuses pratiques de l’ancien régime. Les choses restèrent ainsi jusqu’en 1860, enchaînant de force des provinces entières à croupir dans un état social qui les reportait bien en arrière du moyen âge. L’Italie nouvelle ne pouvait les laisser ainsi sans manquer à la mission de relèvement qu’elle avait assumée. On est en droit de lui reprocher de ne pas s’être jusqu’à ce jour suffisamment occupé de porter remède aux poignantes souffrances d’une grande partie de ses populations agricoles ; mais, du moins, en ce qui touche au Tavoliere di Puglia, elle a fait ce qu’elle devait, aiguillonnée là plus qu’ailleurs par la pensée qu’elle portait la hache à la racine même de ce brigandage que, pendant quelques années, elle avait vu se dresser si redoutable contre elle en se couvrant d’un drapeau politique. Une loi mûrement délibérée par les deux chambres du royaume et promulguée le 16 février 1865 a prononcé l’affranchissement définitif du territoire asservi à la pâture. Celle-ci est devenue facultative, et les propriétaires ont recouvré la libre disposition de leurs terres. En outre, pour encourager le retour à une mise en culture plus productive du sol, l’administration des domaines a reçu le pouvoir d’affermer par parcelles, sous condition de défrichement, les biens de l’état compris dans les anciennes limites du Tavoliere, et de grandes facilités sont données à ceux qui prennent ces parcelles à bail pour se transformer de fermiers en propriétaires en payant des annuités successives.

Les heureux effets de cette loi éminemment libérale n’ont point tardé à se faire sentir. D’année en année, la vie tend à revenir dans la Capitanate; la pâture vague recule devant la culture, qui gagne du terrain; la production des céréales se développe sur la plus vaste échelle; en beaucoup d’endroits, on commence à planter des vignes.

  1. Quelque féroce que le général Manhès se soit souvent montré dans cette répression, il avait pour lui les sympathies de la bourgeoisie éclairée et libérale des villes. On voit encore dans la muraille extérieure de la petite cathédrale gothique du Vasto, sur le littoral de l’Abruzze, une inscription ainsi conçue : Carlo Antonio Manhès, distruttore de’ briganti, primo cittadino del Vasto, 10 aprile 1810. Les habitans, fidèles au souvenir du rude guerrier qui avait délivré leurs campagnes du brigandage, refusèrent de la laisser enlever sous le gouvernement des Bourbons.