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François Montluber, et le revenu qu’elle fournissait à la couronne finit avec le temps par monter à 380,000 ducats d’or.

En effet, les souverains d’origines diverses qui gouvernèrent Naples pendant la durée du XVe et du XVIe siècle, avides de se procurer un revenu certain et facile à percevoir, même au prix de la ruine du pays, poursuivirent incessamment l’extension du pâturage forcé et l’agrandissement du territoire du Tavoliere. Ferdinand Ier, en 1467, inaugura ces accroissemens, que développèrent à l’envi les premiers vice-rois espagnols. Graduellement on en vint à prolonger la région soumise à la servitude de pâture jusque dans une partie de la province de Bari, sur la chaîne des Murgie, de manière à lui faire embrasser une superficie de plus de 300,000 hectares, de Torre-Maggiore à Andria dans une direction, de Troja à Arignano dans une autre. C’était la destruction de l’agriculture sur tout ce vaste territoire, et par suite sa dépopulation ; aussi tous les villages qui le parsemaient au moyen âge disparurent-ils rapidement. Il ne resta que quelques villes où se tenaient des marchés. Sur la faible part du sol qu’on avait réservée à la culture, sur des champs enclaves au milieu des paissances de troupeaux mal gardés, incessamment envahis par eux, on ne pouvait maintenir ni la vigne ni les arbres fruitiers, que leur dent faisait périr. Il n’y avait moyen de produire que quelques céréales, qui mûrissaient et que l’on moissonnait pendant la saison où les bestiaux n’étaient pas là. Encore dans le printemps, quand les blés étaient en vert, les ravages des troupeaux y étaient tels que les réclamations d’indemnités pour lesquelles il fallait s’adresser à l’administration fiscale donnaient lieu à des litiges judiciaires continuels. On avait coutume de dire qu’avec ces demandes et les contestations pour le loyer dû par la couronne aux possesseurs du sol, les affaires du Tavoliere di Puglia fournissaient la moitié du revenu des avocats auprès des tribunaux suprêmes de Naples. Dans ces conditions, beaucoup de propriétaires renonçaient à labourer la portion de terre qu’ils étaient autorisés à cultiver encore ; ils préféraient la laisser en friche, et, ainsi, elle retombait en pâture.

Ce régime n’eut pas des effets moins désastreux pour les montagnes d’où venaient les troupeaux que pour la plaine qui les recevait. Pour augmenter les produits de la douane de Foggia, les agens du gouvernement poussèrent par tous les moyens les habitans des Abruzzes à substituer l’élève facile des bestiaux en troupeaux transhumans au rude labeur de la culture du sol, offrant ainsi une prime à la paresse. Au temps d’Alphonse, quatre-vingt-dix mille moutons descendaient annuellement en Capitanate; en 1592, il en venait 4 millions 1/2. Pour suffire à la nourriture de tant de bêtes dans