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M. Irwine d’Adam Bede, M. Gascoigne de Daniel Deronda, Elle avoue hautement regretter le clergé anglican à l’ancienne mode, où abondaient les types de ministres qui n’avaient pas d’aspirations sublimes à la pureté des doctrines, comme les clergymen du moderne parti évangélique, pas de vaste érudition théologique ou d’habileté de controversistes, comme les clergymen issus du tractarian movement, mais qui se contentaient d’enseigner à leurs paroissiens une morale chrétienne assortie à leur intelligence et de les diriger avec une charité sans emportement compatible avec leur faiblesse. Bien loin d’avoir envie de reprocher à ses clergymen le latitudinarisme de leurs doctrines, elle avait une antipathie marquée pour cette ferveur cléricale et ce zèle dogmatique qui sont de date assez récente dans l’église anglicane et les considérait comme un obstacle presque invincible à la communication du vrai sentiment religieux et, en un certain sens, comme quelque chose de très différent de ce sentiment. Le successeur de M. Irwine dans la paroisse d’Hayslope, M. Reed, était un prédicateur d’une rigoureuse orthodoxie qui avait surtout souci que ses paroissiens fussent instruits dans la vraie doctrine ; « mais, disait sur ses vieux jours l’honnête Adam Bede, plus j’ai réfléchi sur ces sujets de prédestination et de salut, de grâce et de nature, plus j’ai compris que la religion est quelque chose de très différent de tout cela. » Adam Bede est ici l’interprète même de la pensée de George Eliot.

Selon elle, toute doctrine qui n’avait pas d’abord été à l’état de sentiment était absolument stérile et parfois nuisible, et c’était le cas de ces doctrines théologiques qui s’adressaient à l’intelligence exclusivement et n’avaient jamais été mêlées à la vie du cœur. De cette opinion découlait l’idée nette et simple qu’elle s’était formée de la religion. Quoiqu’elle ne l’ait jamais dit expressément, il est évident que, pour elle, la religion était la plus haute expression de la sympathie humaine. C’était cette disposition qui nous porte à sortir hors de nous-mêmes pour nous unir dans une pensée faite à l’image de l’infini et de l’invisible avec la masse de nos semblables. Il s’ensuivait, par conséquent, que, plus la doctrine religieuse était large, et plus ce sentiment de sympathie avait le moyen de se répandre ; plus, au contraire, la doctrine était stricte et étroite, et plus elle refoulait l’individu sur lui-même et l’empêchait de prendre part à cette large communion des âmes. De là sa préférence marquée pour l’église anglicane sur les autres églises protestantes. S’il y a dans ses portraits de personnages religieux une velléité d’ironie, c’est dans le personnage de M. Rufus Lyon, ministre de l’église indépendante, du roman de Félix Holt. Cette ironie semble d’abord un peu étrange de la part d’un esprit philosophique que l’on supposerait devoir être d’autant plus porté vers une doctrine religieuse