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stitue une pseudo-armée égyptienne, commandée par un généralissime anglais et que se renouvellent les administrations civiles, Les Anglais prétendaient d’abord que, ce qu’ils voulaient, c’était une Égypte gouvernée et administrée par les Égyptiens : oui, sans doute, une Égypte gouvernée par les Égyptiens, même, au besoin, avec une constitution qui vient d’être publiée, — mais, bien entendu, sous l’inspiration et la tutelle britanniques, Si lord Dufferin, qui est à Alexandrie depuis quelques mois, n’est pas le vice-roi, il est du moins le conseiller tout-puissant, du vice-roi nominal Tewfik-Pacha et de ses ministres, qui ne feraient rien sans lui. De toute façon, l’Angleterre s’érige en arbitre unique de l’Égypte, et si elle n’a pas avoué d’abord tous ses projets, elle ne les déguise plus guère depuis quelque temps, Elle marche à son but avec la vigueur et la ténacité qu’elle met dans toutes les entreprises qui touchent à sa grandeur et à ses intérêts. Quel caractère prendra définitivement ce protectorat britannique ? On ne le voit pas encore, pas plus qu’on ne sait au juste quels moyens elle prendra pour faire accepter ou sanctionner son œuvre par les cabinets de l’Europe. On ne sait pas si elle emploiera la forme de négociations directes ou séparées, ou si la conférence de Constantinople, qui est suspendue plutôt que dissoute depuis sept ou huit mois, sera appelée à délibérer de nouveau. Il y a là, à ce qu’il semble, une question qui reste réservée pour les cabinets et qui, après tout, ne manque pas de gravité.

Que la France par sa retraite de l’été dernier, par la politique d’abstention et de réserve qu’elle a suivie dans les affaires d’Égypte, se soit créé une position assez délicate vis-à-vis de l’Angleterre, c’est malheureusement trop certain ; qu’elle ne puisse trop se plaindre des suites d’une entreprise à laquelle elle n’a pas voulu s’associer, c’est encore trop évident, et M. Duclerc, placé à son avènement du mois d’août en présence des développemens de la campagne anglaise en Égypte, se trouvait désarmé par les fautes de la politique dont il recueillait l’accablante succession. Est-ce à dire que la France n’ait rien à voir à cet ordre nouveau que l’Angleterre prétend établir en Égypte ? Elle a d’abord les droits de toutes les autres puissances, et elle a aussi les droits particuliers que lui donne la protection traditionnelle, consacrée, d’intérêts français aussi puissans que nombreux. Elle peut se résigner jusqu’à un certain point à subir ce qu’elle n’a pas su empêcher, en assistant sans protester trop vivement à une transformation que l’Angleterre accomplit hardiment à son profit ; elle n’est pas tenue d’abandonner sans mot dire la défense de ses intérêts, d’une position reconnue que le cabinet de Londres avait promis de respecter, et si le chef du dernier cabinet s’est tu d’abord par dignité, il a pu avec raison rentrer en discussion, notamment à propos de la disparition sommaire du contrôle que la France et l’Angleterre ont exercé en commun pendant quelques années. Ce contrôle a été supprimé ou, si l’on veut,