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pas mieux portant, Notre diplomatie reste sans chef, sans direction, sans instructions. Les représentans de la France sont réduits à n’être que des spectateurs muets et inutiles au moment où s’agitent partout et sous toutes les formes des questions qui ne laissent pas d’être sérieuses. Rien ne s’arrête en effet dans le monde parce que nous n’avons pas un ministre des affaires étrangères pour tracer à nos agens la conduite qu’ils doivent suivre. Une conférence est réunie en ce moment même à Londres pour régler souverainement les conditions du régime de la navigation du Danube, et sous une forme partielle, épisodique, c’est encore cette éternelle question d’Orient qui est en délibération. L’Angleterre, de son côté, poursuit avec persévérance cette réorganisation de l’Egypte qu’elle a entreprise, qu’elle s’efforce naturellement de réaliser à son avantage en se servant habilement de tous ses moyens d’action ou de persuasion pour rallier l’Europe à ses vues. Les cabinets des plus grandes puissances se concertent entre eux pour toutes les éventualités, négocient les conditions de leurs alliances, de leurs rapprochemens. Tout suit son cours, en dehors de nous, parfois peut-être contre nous, pendant que nous nous condamnons à une impuissance forcée, et c’est ainsi que la France paie par des diminutions d’influence et de crédit dans toutes les affaires du monde la rançon des crises intérieures que les passions aveugles ou frivoles des partis lui ménagent incessamment. On ne réfléchit pas qu’avec les procédés dont on use depuis trop longtemps on ne fait qu’isoler et affaiblir de plus en plus la France, rendre de jour en jour plus impossible ou plus difficile la position de nos représentai auprès de tous les gouvernemens qui mesurent à la gravité croissante de nos crises intérieures les progrès de notre impuissance extérieure.

Et quand, sous prétexte de zèle républicain, on se passerait aujourd’hui la fantaisie d’expulser les princes, est-ce qu’on se figure que la France ainsi conduite aurait plus d’autorité pour participer avec fruit au règlement de la question danubienne ou pour revendiquer auprès de l’Angleterre sa part légitime d’influence dans les affaires égyptiennes ? On n’a qu’à interroger nos ambassadeurs, ceux qui se sont montrés le plus notoirement décidés pour la république, M. le comte Duchâtel à Vienne, M. le marquis de Noailles à Constantinople, M. Decrais à Rome, M. Tissot à Londres : ils répondront tous que ce n’était pas la peine de leur créer de nouveaux embarras de situation, et quelques-uns refuseront de continuer à représenter une politique qu’ils ne pourront plus défendre. Le seul résultat obtenu par les républicains qui ont organisé cette dernière campagne des lois d’exception sera qu’on se gênera un peu moins avec la France en la voyant s’affaiblir par ses divisions, comme par les incohérences de sa politique, s’isoler elle-même dans la vie européenne.

Que sortira-t-il maintenant de cette conférence qui vient de s’ouvrir sur ces entrefaites à Londres, où va se débattre cette question euro-