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loi dite des prétendans a été la triste expression. Il y a quatre jours une ordonnance de non-lieu prononcée en sa faveur par la chambre des mises en accusation de la cour de Paris, en lui rendant la liberté, a déterminé au Luxembourg, sinon un changement complet de scène, du moins une certaine évolution. Quelques sénateurs, s’armant de cette ordonnance de non-lieu, se sont dit que le gouvernement était trop visiblement désarmé, et c’est M. Léon Say, qui, après s’être vivement prononcé contre toute mesure d’exception, s’est fait le promoteur d’un nouveau projet composé d’un seul article qui est devenu toute la loi acceptée par le sénat. Cet article dit que les princes des anciennes familles régnantes qui auront fait acte de prétendans ou qui auront attenté à la sûreté de l’état seront jugés et punis du « bannissement. » Il faut bien remarquer que ce n’est là encore qu’une mesure d’exception et même plus grave que toutes les autres si elle était strictement appliquée, puisque, dans le langage du droit, le « bannissement » est une peine afflictive et infamante.

N’importe, le sénat avait hâte d’en finir, en sorte que la situation est aujourd’hui celle-ci : la chambre des députés a envoyé au Luxembourg la proposition Fabre, et le sénat renvoie au Palais-Bourbon l’article de M. Léon Say. Au milieu de tout cela, le ministère, ou ce qui restait du ministère, a disparu assez piteusement. Que va-t-il maintenant arriver de ces deux lois livrées aux contradictions de deux assemblées qui ne s’entendent pas ? C’est là la difficulté, d’autant plus que l’article de M. Léon Say, à dire toute la vérité, n’est pas plus une solution que la loi de la chambre des députés. À la rigueur, si on croyait à la nécessité d’armer le gouvernement, ce qu’il y aurait eu de mieux pour le sénat eût été de se rallier à un projet présenté par quelques sénateurs et proposant des mesures de défense ou de répression d’un ordre général, sans dérogation au droit commun, sans application particulière à des personnalités distinctes. Ce qu’il y aurait de bien mieux encore, ce serait qu’à la place du ministère qui disparaît, il pût se former un gouvernement assez ferme et assez résolu pour ramener les esprits à la raison, pour persuader aux chambres qu’elles n’ont qu’à laisser retomber dans l’oubli toutes ces lois, parce qu’en définitive, aujourd’hui comme hier, elles restent à la fois dangereuses et inefficaces, violentes et surannées.

Oh ! sûrement des lois de ce genre ont toujours le don de répondre à des haines et à des passions aveugles de parti, à de vieux instincts révolutionnaires. Elles ont des apologistes, des défenseurs d’un art savant et subtil. Ceux qui les défendent le plus habilement ne feront pas qu’elles ne restent marquées du sceau indélébile et répugnant de lois d’exception, précisément parce qu’elles frappent, non des actes, mais des personnes, des situations, des intentions supposées. Elles sont la proscription sommaire, et ce qu’il y a de curieux, c’est que, dans tous