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mesures d’exception : croit-on que cela n’eût pas mieux valu que de se jeter dans une aventure d’où l’on n’est pas encore sorti, même après le vote sénatorial d’hier, d’où l’on ne sortira peut-être pas sans dommage pour la république et, dans tous les cas, pour la paix intérieure de la France ?

On a fait tout le contraire de ce qu’on aurait pu et dû faire depuis quelques années. On s’est livré au hasard de cette politique qui n’a été qu’un mélange de velléités persécutrices et de tolérance forcée, imposée par les mœurs. On s’est payé de cette chimère que la république, pour tout réformer, devait commencer par tout mettre en suspicion, et sous prétexte de rallier le plus possible, de retenir une majorité républicaine, on a livré plus ou moins aux passions du radicalisme tantôt la magistrature ou l’armée, tantôt l’intégrité de l’enseignement et la liberté des consciences, presque toujours la dignité, les conditions d’indépendance et de stabilité du gouvernement. On a vécu de concessions perpétuelles, aux dépens des garanties publiques, des finances, des institutions protectrices du pays, sans s’apercevoir que c’était s’affaiblir par degrés, sans honneur et sans profit. À cela qu’ont gagné les cabinets qui se sont succédé ? qui se sont faits plus ou moins les complices de cette désorganisation croissante ? À peine un répit de quelques mois, après lequel ils ont laissé périodiquement le pouvoir plus faible et une crise plus grave. Au dernier moment, le ministère qui existait il y a quelques semaines a cru se sauver à son tour par une concession nouvelle au sujet des prétendans, il n’a rien sauvé par ses complaisances, il a perdu d’un seul coup, au contraire, ce qui lui restait de force et de crédit. Il s’est plus qu’à demi décomposé avant de disparaître définitivement, et la conséquence de ces faits est cette situation où tout semble devenir impossible, où, pour se dispenser d’avoir une politique sérieuse, on s’attache bruyamment depuis quinze jours à cette question unique de savoir comment on expulsera, comment on bannira de l’armée et des fonctions électives des princes qui n’ont rien fait. Jusqu’ici, pour échapper aux difficultés qu’on s’était créées à plaisir, on avait imaginé un article 7, on avait dispersé par autorité de police des congrégations, on avait eu aussi la ressource des épurations administratives ou judiciaires. Aujourd’hui, on a trouvé fort à propos cette question des prétendans, qui ne fait qu’ajouter à la confusion, qui a déjà tué un cabinet et va rendre pour le moins difficile la constitution d’un nouveau ministère à demi sérieux.

Tout en vérité est étrange dans cette affaire, à commencer par la manière dont elle s’est engagée. La question n’existait même pas il y a un mois, elle n’avait provoqué ni polémiques dans la presse ni interpellations dans le parlement. Peu de jours après elle effaçait tout, elle dominait tout, elle était devenue l’embarras des pouvoirs publics, le prétexte des plus singuliers déchaînemens, l’occasion ou la cause d’une