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Supposez un instant que les événemens aient pris un autre cours depuis quelques années. Les républicains arrivant au pouvoir, maîtres de tout, disposant de la majorité dans les assemblées, ont mieux compris leur rôle et les devoirs du règne. Ils se sont dit que cette république dont ils recevaient la direction souveraine, ils avaient à la fonder, à l’accréditer, qu’elle devait sans doute être gouvernée par des républicains, mais qu’elle ne devait être ni agitatrice ni exclusive. Ils se sont étudiés à lui imprimer le caractère d’un régime libéral et rassurant, à éviter tout ce qui pouvait bouleverser ou déconsidérer les institutions, inquiéter les consciences, troubler les intérêts, raviver les divisions d’opinions et les guerres de croyances. Ils ont voulu accomplir des réformes sérieuses, même démocratiques : rien de plus simple et de plus légitime ; mais ces réformes, ils les ont conçues avec une intelligente et équitable prévoyance, ils les ont préparées avec maturité, de façon à servir l’intérêt public, non uniquement de manière à satisfaire des passions de secte ou des convoitises personnelles. Ils ont trouvé une situation financière florissante et ils ne se sont pas refusé l’avantage d’en profiter pour populariser la république par des entreprises utiles, par des travaux fructueux. Ils en avaient le droit ; mais ils n’ont pas oublié en même temps qu’il fallait ménager cette masse de richesse nationale, qu’il était interdit de gaspiller la fortune publique en dépenses imprévoyantes, que la France était un pays qui, à un moment donné, pouvait avoir besoin de toutes ses ressources, de la puissance de son crédit. Ils ont maintenu la paix intérieure qui leur a été léguée, et de cette paix intérieure prudemment préservée, ils ont su faire pour la France un moyen d’influence extérieure, une garantie de liberté et d’indépendance dans les affaires de l’Europe. Ils ont fait, en un mot, un régime acceptable pour tout le monde. — Eh bien ! supposez que les choses se soient ainsi passées depuis quelques années, que les républicains aient assuré dans la mesure du possible à la république un gouvernement sensé, de bonnes finances, une direction libérale et équitable : croit-on que cette politique pratiquée avec fruit, avec décision, eût conduit à ces confusions où l’on se débat aujourd’hui, où il suffit du moindre incident, d’une fantaisie princière pour mettre tout en suspens, pour déconcerter les pouvoirs publics et effarer les imaginations ? Supposez encore, pour resserrer la question, pour la ramener aux circonstances récentes, qu’au moment où il a plu au prince Napoléon d’afficher son manifeste sur les murs de Paris, il y ait eu au pouvoir un ministère de quelque fermeté, de quelque volonté ; supposez ce ministère opposant son sang-froid à des paniques assez ridicules, rassurant le parlement contre des dangers chimériques, arrêtant au passage toutes les velléités de proscription et de