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au temps de l’assemblée nationale ; nous attendons quel bruit de violence ou quel cri de peur sortira ce soir du Palais-Bourbon : espère-t-on nous émouvoir avec une comédie retour de Versailles ?

Voilà pourquoi, survenue en ces jours de crise, la pièce de M. Claretie semble anodine. On est tenté de reprocher à l’auteur un manque de courage et de force, une mollesse de main qui l’empêche d’enfoncer le trait assez avant ; on l’accuserait volontiers d’avoir eu peur de son sujet. C’est que l’ouvrage, en réalité, date de quelques années en arrière et que l’affiche est d’aujourd’hui. En se récriant contre le peu de ressemblance du héros aux modèles qu’il voit à la ville, le public serait injuste, parce que l’auteur eut d’autres modèles ; mais, pour tout dire, le public a le droit de s’y tromper. Il a le droit de s’intéresser médiocrement à ce personnage de vertu et de vice médiocres, lorsqu’il attend qu’on lui présente de bien autres sujets : qu’a-t-il à faire d’un visage où la maladie s’est à peine déclarée lorsqu’il attend qu’on lui montre des faces où les beaux cas s’épanouissent ? On m’annonce un ulcère ; on me montre un orgelet tel qu’il fut observé en 1875 ; le virus politique a produit depuis dautres fleurs : j’ai le droit de trouver que cette clinique est mal pourvue.

Si l’on passe des héros aux comparses, le mécompte est le même. L’auteur avait observé les innocens ridicules d’un certain monde, et ses travers plutôt que ses vices ; il les avait décrits plutôt que raillés. En transportant ses personnages sur la scène, il les a tournés davantage au comique, mais encore sans méchanceté : ainsi deviennent-ils les acteurs d’une sorte de vaudeville qui accompagne le drame, trop mêlé au drame pour rester dans le domaine de la fantaisie, trop dénué d’acrimonie pour toucher à la satire. La partie comique de l’ouvrage, comme la partie sérieuse, est donc juste-milieu. Mais qu’est-ce aujourd’hui si l’on raille un ministre, que de le railler seulement sur la brièveté de son pouvoir ; si l’on démasque un prescripteur, que de lui rappeler seulement qu’il est allé à Compiègne ? Nous n’en sommes plus, depuîs quelque temps, à reprocher aux gens d’être allés à Compiègne, ni à rechercher d’où ils sont revenus, de si loin que ce soit ; nous avons assez de regarder où ils vont, et où ils nous mènent.

Ces réserves faites, — et comment ne pas les faire ? — il faut reconnaître que M. Claretie, avec l’aide de M. Dumas, a tiré de son roman une pièce clairement déduite, amusante et pathétique autant que les vicissitudes de l’époque permettaient qu’elle le fût. Il a sacrifié bien des épisodes ; il a fait courageusement des coupes au plus touffu de son ouvrage ; il a gardé l’essentiel, hormis le dénoûment qui, sans doute, eût centristé le public. Il a retenu le plus qu’il a pu de ce qui éclairait les caractères ; et si, par endroits, celui de Marianne Kayser s’est obscurci, celui de Sulpice Vaudrey, en somme, demeure intelligible sans que le personnage se traîne dans des longueurs. Un premier acte, où se fait l’exposition