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certaines œuvres que je ne veux pas nommer, mais le naturalisme bien entendu, celui qui se propose de dégager du spectacle des réalités communes ce qu’elles enferment d’intérêt, d’émotion, de poésie même, quand ce mouvement, dont le vrai caractère n’a été plus étrangement méconnu par personne que par ceux-là mêmes qui croient l’avoir dirigé, n’aurait rendu que ce seul service de ramener le roman de mœurs à une observation plus scrupuleuse de la nature et une imitation plus fidèle de la vie, ce serait déjà beaucoup. Il faut accorder cette louange à l’auteur de l’Evangéliste qu’il a excellé plusieurs fois dans cette peinture de la vie familière. Un rien, comme on dit, lui suffit pour faire jaillir l’émotion comme des profondeurs de ce que l’on eût jadis appelé la banalité même ; et réciproquement, on doit le reconnaître, c’est parce qu’il ne va pas la chercher ailleurs qu’elle est chez lui si puissante et si communicative.

Je voudrais pouvoir ici donner mes preuves. Faute de place, je me contenterai de rappeler ces pages à la fois si simples et si poignantes où ce brave Dufresne, « en faisant un peu de classement, » met la main ce soir-là sur les lettres de sa femme, et relit machinalement cette correspondance « datée de l’année de la maladie, » tout ce qui lui reste d’une morte aimée. La simplicité en est parfaite, la délicatesse en est exquise, l’émotion en est irrésistible. Relisez seulement ces quelques lignes, quand Lorie en arrive à la dernière lettre de cette correspondance, celle où la mourante, avec cette seconde vue et cette pénétration plus intime des siens que donne dans certaines maladies l’approche de la mort, a pressenti que l’on ne garderait pas éternellement son souvenir. « Et lentement, délicatement, avec des mots longtemps cherchés, et qui avaient dû lui coûter à écrire, car tout ce passage haletait de fragmens, de cassures, elle lui parlait d’un mariage possible, plus tard, quelque jour… Il était si jeune encore ! .. Seulement, choisis-la bien, et donne à nos petits une mère qui soit vraiment mère. » Jamais ces dernières recommandations, relues souvent depuis la mort, n’avaient impressionné Lorie comme ce soir, pendant qu’il écoutait, dans le silence de la maison endormie, un pas tranquille de rangement, allant, venant à l’étage au-dessus. Une fenêtre se ferma, des rideaux grincèrent sur leur tringle ; et à travers de grosses larmes qui embuaient et allongeaient les mots, il continuait à lire et à relire : « Seulement, choisis-la bien… »

On pourrait citer vingt autres pages, de cette force en même temps que de cette simplicité, parce qu’elles vont au-delà du visible, et que selon l’expression en faveur, les dessous en sont psychologiques. Il en est deux au moins que j’aurais comme un remords de n’avoir pas signalées : celle où la femme du pasteur Aussandon, « ce petit être tout d’intérêt, mais si maternel, frappé au point sensible, » se jette en sanglotant dans les bras du vieil homme qui vient de risquer, sachant ce