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prévisions ; de là surtout des bizarreries et des incohérences qu’on ne s’explique pas dans les œuvres qu’ils produisent. L’Égypte, au contraire, a vécu et s’est formée toute seule ; les nations qui l’entouraient n’ont pas eu d’action sur elle ; au moins dans les premiers siècles, elle a tout tiré de son génie propre, et tout chez elle porte l’empreinte de ses qualités nationales. Comme elle s’est développée d’une façon plus régulière, il est plus facile de rendre raison de ses progrès, de la retrouver dans ses ouvrages, de savoir pourquoi elle a préféré tel genre à tel autre, et les raisons qui l’ont rendue plus sensible à certaines qualités, plus sujette à certains défauts. Il s’ensuit que l’histoire de l’art égyptien est une de celles dont l’esprit est le plus satisfait, et qui montre le mieux qu’en créant les types divers de ses demeures et de ses temples, la décoration dont il les couvre, les statues dont il les orne, l’homme n’obéit pas à de pures fantaisies, mais qu’il suit à son insu une sorte de logique naturelle.

Dans cette histoire, M. Perrot fait d’abord la part du sol et du climat. Tous ceux qui ont parcouru l’Égypte ont été frappés de voir combien le caractère du pays et celui des monumens s’accordent entre eux. Là, plus qu’ailleurs, l’homme, dans ses créations, a subi l’influence du paysage sur lequel ses yeux se sont promenés depuis son enfance. Ce paysage ne présente nulle part ces reliefs imprévus et variés, ces contrastes, ces sommets inégaux et hardis qui sont si communs dans les pays montueux comme la Grèce. On n’y trouve que des chaînes de montagne dont la crête garde partout à peu près la même hauteur, ou des plaines unies et monotones qui s’allongent et se prolongent sans fin. Ces grandes lignes horizontales qu’offrent au regard, dans la vallée du Nil, le dessin même du sol et ses accidens, on les retrouve dans les monumens que l’homme y a élevés, « Il y a donc comme une harmonie secrète entre les grands aspects de cette nature et ceux des édifices auxquels elle sert de cadre. » C’est aussi par le pays lui-même, par la pureté du ciel, par l’éclat incomparable de la lumière que s’explique le goût qu’avaient les Égyptiens de couvrir leurs monumens des plus brillantes couleurs. Longtemps on a regardé cette habitude comme une véritable barbarie, et l’on s’est refusé obstinément à croire que les Grecs badigeonnaient les murailles de leurs édifices au moment où ils bâtissaient l’acropole. Il a bien fallu se rendre à l’évidence et reconnaître que ces couleurs vives et heurtées, qui peuvent choquer les délicats sous notre ciel gris, ne produisent plus les mêmes effets, dans ces climats où resplendit un soleil aveuglant. Goethe, cet observateur profond, s’en était aperçu un jour qu’il assistait à une fête aux environs de Naples, et qu’il était tout surpris de regarder avec charme les jupes écarlates des femmes de Nettuno, ornées de larges galons et d’argent. « Sous l’azur d’un ciel brillant, disait-il, rien n’est proprement bigarré, parce que rien ne peut surpasser