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puissant, de ramassé, de trapu, éveille l’idée d’une stabilité absolue et d’une durée sans bornes ; il fait voir que, ce qui achève de leur imprimer un caractère d’incomparable gravité, c’est le petit nombre des ouvertures destinées à faire pénétrer la lumière dans l’intérieur. « En comparaison de notre architecture moderne, où ces ouvertures jouent un rôle si considérable, c’est une architecture fermée. » Par suite de cette rareté des baies et du peu de place qu’elles occupent, on a des surfaces pleines et lisses, de grands murs sans porte et sans fenêtres qui présentent à l’œil une sorte de monotonie majestueuse. Si M. Perrot confirme et complète quelquefois les opinions qu’on se fait de l’art égyptien, quelquefois aussi il les rectifie ou les combat. On dit souvent, pour le caractériser, qu’il est hiératique ou sacerdotal. C’est un mot bien vague et qui, pris à la lettre, n’est pas toujours juste. Sans doute, l’influence de la religion et des prêtres a été grande en Égypte, nous le montrerons tout à l’heure, mais elle ne régnait pas seule, et l’on ne peut pas tout expliquer par elle. A côté des tombeaux et des temples, bâtis, si l’on veut, sous la direction des prêtres, il y avait des palais, des forteresses, toute une architecture militaire et civile dont assurément ils ne se mêlaient pas. Il n’est donc qu’à moitié vrai de prétendre que l’art égyptien soit hiératique ; mais il est entièrement faux de croire qu’il n’ait jamais changé. Cette opinion est pourtant fort accréditée et très ancienne. Platon se figurait déjà que cet art avait de tout temps obéi à des lois immuables, et un critique contemporain a prononcé gravement « que, depuis les premiers Pharaons jusqu’aux derniers Ptolémées, il est toujours resté le même. » C’est une grande erreur : on sait aujourd’hui que, dans sa longue durée, il a éprouvé des fortunes très diverses ; que, suivant l’usage, après une enfance vigoureuse, il est arrivé à la pleine maturité pour décroître ensuite et vieillir, qu’il a successivement traversé des périodes de grandeur et de décadence. Le goût a souvent changé en Égypte, comme partout. Des circonstances nouvelles ont amené de nouvelles façons de bâtir, et un œil un peu exercé distingue les statues de l’ancien empire de celles des époques plus récentes. En un mot, l’art égyptien a une histoire, et M. Perrot s’est chargé de nous l’enseigner.

C’est précisément l’étude des phases différentes par lesquelles a passé l’art égyptien, de ses essais, de ses créations diverses, de ses chutes et de ses renaissances qui fait l’intérêt principal du livre de M. Perrot. Il est aisé d’en comprendre le motif. Tous les autres peuples ont subi dans une certaine mesure l’influence de l’étranger. L’imitation a introduit chez eux des élémens qui sont quelquefois contraires à leur nature et qu’ils s’assimilent comme ils peuvent. De là viennent beaucoup d’incertitudes dans la marche de leur civilisation, des écarts, puis des retours étranges, des caprices qui déconcertent les