Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

6,845 kilomètres répartis entre cent soixante-treize lignes. Bien que l’écart entre les deux évaluations soit assez sensible et que les chiffres de M. Krantz semblent parfaitement justifiés par l’énumération détaillée qu’il a soumise au sénat, il nous suffit pour le raisonnement théorique de nous en tenir aux chiffres de M. Carnot, qui ne s’appliquent qu’aux lignes classées par la loi du 3 juillet 1879. Pourquoi a-t-on entrepris les travaux sur tant de points à la fois ? pourquoi a-t-on attaqué du même coup cent quarante-quatre lignes différentes ? comment a-t-on, dès le début, engagé une dépense aussi énorme, en escomptant à l’avance les ressources nécessairement aléatoires du budget extraordinaire pendant plusieurs années, et cela lorsque nos gouvernans pouvaient et devaient prévoir les embarras imminens de la situation financière ? À ces questions il a été répondu par des explications techniques tirées des conditions particulières auxquelles est subordonnée la construction des voies ferrées. Il y a, dit-on, la période d’études, la période de construction, la période de consolidation, et la mise en train d’une entreprise aussi vaste exigeait que l’on commençât tout d’abord les travaux sur ces 5,000 kilomètres pour achever l’ensemble du réseau dans les délais convenus. La compétence nous manque pour apprécier la valeur des argumens développés à ce sujet devant la chambre des députés par MM. Carnot et Rousseau, tous deux ingénieurs ; mais, au sénat, M. Krantz, ingénieur lui aussi, a contesté la vertu de cette méthode « académique » en fait de construction de chemins de fer ; il lui a paru d’ailleurs qu’un travail aussi précipité risquait de n’avoir pas été préparé par des études suffisantes et devait faire craindre un supplément de dépenses. Quel que soit l’intérêt de cette discussion entre ingénieurs, ce n’est point là, croyons-nous, qu’il faut chercher l’explication de l’activité fiévreuse avec laquelle le ministère des travaux publics a ouvert les chantiers sur cent quarante-quatre lignes à la fois. La méthode de construction n’y est pour tien ; c’est la politique qui a tout fait, avec ses manœuvres parlementaires et ses combinaisons électorales.

Dans le discours qu’il a prononcé le 15 décembre dernier, M. Carnot s’est complu à rappeler les études, les enquêtes, les délibérations multipliées, d’où étaient sorties, en 1878 et 1879, les propositions de M. de Freycinet ; il a loué la chambre de n’avoir point agi comme avait fait une précédente assemblée. « Vous n’avez point déclaré, a-t-il dit, l’utilité publique des travaux que vous classiez, comme on l’a fait, à un certain jour, à la veille des élections de 1876, en apportant coup sur coup deux projets déclarant d’utilité publique plus de 1,200 kilomètres et classant plus de 1,000 autres kilomètres. Ces projets, l’assemblée nationale les a