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toute une colonie d’êtres vivans qui grouillent sous cette pierre. Que l’on jette la drague à plus de quatre kilomètres de profondeur, en une région des abîmes de l’Océan, et la drague retirera, mélangée au sable, une foule d’organismes divers, grands ou petits. Dans une forêt, dans un champ, sur une montagne, nulle place n’est dépourvue d’un brin d’herbe ou de mousse et d’un petit insecte qui vit côte à côte avec le végétal.

En un mot, quels que soient les endroits du globe terrestre vers lesquels se portent nos regards, partout nous voyons la vie se manifester, partout il y a des êtres vivans qui grandissent, se reproduisent, et meurent.

Quel admirable spectacle que cette vie intense, partout répandue, nulle part absente, qui va des profondeurs de l’Océan jusqu’au sommet des glaciers ! Pour peu qu’on arrête sa pensée sur ce prodige, on se sentira saisi d’une sorte de religieux respect pour cette toute-puissante nature vivante, qui, sur la vaste étendue de notre planète, s’étend universellement.

Ainsi partout les êtres vivans sont accumulés les uns auprès des autres, se serrant de près, se touchant de toutes parts, respirant et se nourrissant l’un à côté de l’autre. Il y a donc dès à présent sur la terre une somme de vie, une quantité maximum d’êtres vivans, qui ne peut plus guère être dépassée. Et tout fait penser qu’il en a été ainsi depuis des milliers de siècles. Depuis des milliers de siècles les êtres vivans ont couvert la terre et se sont disputé le sol, l’air, et l’eau de notre globe.

Cependant ces êtres tendent toujours à devenir plus nombreux. Non-seulement ils vivent et tendent à vivre, mais sans cesse ils se reproduisent et tendent à se reproduire. Constamment apparaissent des générations nouvelles, et chaque nouvelle génération devrait être plus riche en individus que la génération précédente. C’est là une condition générale, qui ne comporte pas d’exceptions. Les parens sont moins nombreux que les enfans. Par conséquent, le, nombre des individus tend toujours à devenir de plus en plus considérable. Mais, comme la somme de vie répandue sur la terre ne peut croître indéfiniment, il s’ensuit qu’au fur et à mesure que les générations nouvelles apparaissent, elles doivent être en partie détruites.

Pour montrer les effets de cette progression qui serait indéfinie, si elle n’était arrêtée par des forées destructives, prenons pour exemple un des animaux les moins féconds, c’est-à-dire l’éléphant. Supposez aux deux premiers éléphans, un mâle et une femelle, une postérité d’un petit tous les trois ans. Admettons, comme cela est vraisemblable, que la vie moyenne des éléphans soit de cent ans, il s’en suivra qu’en quatre-vingts ans le couple primitif aura eu vingt-sept petits. Diminuons ce nombre, et supposons vingt éléphans