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physiologistes, qui connaissent la douleur, sont pleins de pitié pour les êtres souffrans, et je ne crains pas de dire que nul d’entre eux ne se rendrait coupable de brutalité vis-à-vis d’un animal. Certes, ils immolent des chiens et des lapins, mais c’est pour un intérêt supérieur ; et, dans leurs expériences mêmes, ils se montrent démens, essayant d’éviter à leurs victimes d’inutiles souffrances.

A dire vrai, si l’on veut se dégager de toute sentimentalité vaine, on arrive à cette conclusion que d’innombrables et d’inouïes souffrances sont imposées par la nature aux êtres vivans. Sur toute la surface de la terre, à Bornéo comme en France, au Sahara comme en Laponie, partout, hommes et animaux souffrent. Dans la profondeur de toutes les mers, dans les flots de tous les fleuves, sur tous les rivages de tous les océans, dans toutes les forêts, dans toutes les plaines, partout, il y a souffrance et douleur. Il s’agit d’apporter quelque adoucissement à tous ces maux, et ce résultat ne peut être atteint que par la science, la connaissance des lois de la vie. Qu’est-ce donc, pour un si grandiose résultat, que le gémissement confus des malheureux chiens que nous immolons de temps à autre ? Vraiment nous avons le droit de sacrifier ces rares et innocentes victimes ; car, à un si faible prix, nous deviendrons les maîtres de la nature vivante ; nous aurons pénétré les lois de la vie, et nous pouvons soulager les infortunes de nos semblables.


III

C’est de temps immémorial que l’homme s’est donné droit de vie et de mort sur les animaux. S’il l’a fait, ce n’est ni par caprice, ni par raisonnement ; c’est en raison d’une loi primordiale qui domine la nature. Avant que l’homme l’eût entrevue ou formulée, il l’appliquait déjà, comme par instinct. Elle s’est imposée à nous avant que nous puissions la connaître ou la comprendre. Elle est, en effet, commune à tous les êtres vivans et dirige le sens de leur destinée. Cette loi universelle a été bien exposée pour la première fois par l’illustre Darwin, qui l’a appelée la lutte pour l’existence (struggle for life).

Nous allons essayer de donner une idée de cette grande condition de la vie universelle, et de l’appliquer à l’existence de l’homme.

Partout autour de nous, soit sur la surface de la terre, soit dans les océans, il existe par myriades des êtres vivans, plantes ou animaux. L’air contient en quantités innombrables des poussières vivantes, germes microscopiques, qui, s’ils sont semés sur un terrain favorable, sont aptes à fournir une innombrable série de générations. Que l’on prenne une goutte d’eau dans une rivière quelconque, et l’on pourra y déceler des germes. Qu’en un point d’un rivage, désert en apparence, on soulève une pierre, on trouvera