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Or la science, et la science physiologique en particulier, a pour principal effet d’être utile aux hommes. La connaissance des lois de la nature peut seule nous faire soulager les misères de notre existence. Chaque progrès de nos connaissances entraîne, à plus ou moins longue échéance, un progrès dans notre sort. Même si nous ne comprenons pas immédiatement l’utilité pratique de telle ou telle découverte, soyons sûrs qu’elle portera bientôt ses fruits. Les faits innombrables et mystérieux au milieu desquels nous vivons sont soumis à des lois fixes qui ne sont qu’imparfaitement connues. Aussi tous nos efforts doivent-ils tendre à les éclaircir, à dégager des choses les grandes lois qui les régissent. Il semble qu’une des principales fonctions de l’humanité soit la science, c’est-à-dire la pénétration des grandes lois naturelles. Donc tout ce qui est progrès de la science doit être estimé à un très haut prix. C’est, en quelque sorte, une arche sainte à laquelle il n’est pas permis de toucher. Il importe peu que le profane la comprenne ou l’ignore ; la science, c’est l’avenir de l’humanité.

On connaît la plaisante boutade de Brillat-Savarin, « que la découverte d’un plat nouveau profite à l’humanité plus que la découverte d’une étoile. » C’est un mot aussi spirituel que superficiel. Le brave homme qui, assis devant une bonne table, déguste le ragoût que Jeannette lui a préparé, ne comprendra pas qu’on ait à se préoccuper des étoiles. Il ignore peut-être qu’il y a une carte du ciel et que cette carte indique la bonne route aux innombrables navires qui sillonnent les océans. Il ne sait pas que la connaissance exacte des phénomènes cosmiques entraîne celle des orages, des tempêtes, des cyclones, de tous ces météores auxquels l’humanité tout entière est intéressée, pour sa richesse et même pour son existence. N’essayez pas non plus de lui expliquer qu’une nouvelle découverte astronomique en entraîne d’autres, que la détermination précise d’un fait conduit à la détermination de toute une nouvelle série de faits. Ce sera peine perdue, et il lui paraîtra beaucoup plus simple de railler les astronomes et de préférer la cuisine à la science.

En fait de science, c’est une hérésie que de vouloir qu’elle donne immédiatement un résultat utile, palpable, précis, une application pratique instantanée. La science n’a rien à faire avec l’utilité : ou plutôt les vrais utilitaires sont ceux qui espèrent dans la science future : ceux-là sont forcés de respecter la science d’aujourd’hui, même quand elle paraît inutile, parce qu’elle nous fait approcher de la science de demain, qui seule peut apporter quelque puissant allégement aux misères humaines.

Lorsque Galvani a annoncé qu’en touchant la patte d’une grenouille avec du cuivre et du zinc, on provoque des contractions