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du règne humain. On a dit que ce qui caractérise l’homme, c’est la parole articulée et le langage :

Quel est ton sort, dis-moi ?
— D’être homme et de parler.


répond Molière avec Sosie. Vraiment la définition n’est pas mauvaise. Tous les êtres humains parlent : nul animal ne possède le langage. Il y a là une différence considérable qu’il ne faut pas chercher à diminuer. Mais, si importante que soit la fonction du langage, elle ne constitue pas encore cet abîme, cet hiatus infranchissable, que nous avons vainement cherché jusqu’ici entre l’homme et l’animal.

Un des plus illustres collaborateurs de cette revue, M. de Quatrefages, celui-là même qui a défendu avec le plus d’éloquence et de passion l’idée d’un règne humain, reconnaît que le langage de l’homme et la voix des animaux représentent une fonction très analogue. « Il n’y a chez nous, dit-il, qu’un perfectionnement immense, mais rien de radicalement nouveau. Dans les deux cas, les sons traduisent des impressions, des pensées personnelles, comprises par les individus de même espèce. Le mécanisme de la phonation, le but, le résultat, sont au fond les mêmes. Il est vrai que le langage des animaux est des plus rudimentaires et pleinement en harmonie, sous ce rapport, avec l’infériorité de leur intelligence… Tel qu’il est pourtant, ce langage suffit aux besoins des mammifères et des oiseaux, qui le comprennent fort bien. »

Si nous avons donné l’opinion de M. de Quatrefages, c’est précisément parce que cet éminent naturaliste, se fondant sur la moralité et la religiosité de l’homme, croit qu’on doit établir un règne humain.

En tout cas, il reconnaît que le langage de l’homme est en germe dans les cris inarticulés des animaux. La plupart des vertébrés supérieurs ont des sons pour exprimer la joie, la douleur, la colère, l’amour, l’impatience, la crainte. Ce sont là sentimens qui ne sont pas spéciaux à l’homme, et qu’il n’exprime pas plus nettement par sa parole que les animaux par leurs cris.

L’homme, au lieu de bruits inarticulés, émet des intonations variées, multiples, changeantes, flexibles, qui permettent de traduire par des sons l’infinie variété des idées. Mais, à tout prendre, l’origine de cet admirable langage humain est dans les sons inarticulés de l’animal. Si tous les êtres vivans étaient absolument muets, on ne comprendrait pas comment a pris naissance le langage de l’homme. On ne saurait le rattacher à rien, tandis qu’on peut supposer que