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LA
MALADIE DE L'IDEAL
D'APRES LES CONFESSIONS D'UN RÊVEUR

Henri-Frédéric Amiel : Fragmens d’un journal intime, précédés d’une étude par M. Edmond Scherer.

Un rêveur ? il faut s’entendre sur ce mot. Il y a des rêves stériles qui se détruisent à mesure qu’ils se forment et s’évaporent avec la filmée des cigares dont ils sont nés. Il y en a d’autres qui sont une action perpétuelle de la pensée, mais que nous appelons rêves, parce qu’ils ne se déterminent pas sous une forme plastique. Qu’importe l’origine si le résultat mérite de vivre, malgré le défaut de suite et l’incohérence des détails, par la sincérité des impressions ressenties et du style qui les a fixées ? Le rêveur dont nous avons sous les yeux la confession journalière écrivait un jour, avec la mélancolie qui remplit et attendrit ces pages posthumes : « L’inachevé n’est rien. » Ce mot n’est pas tout à fait juste, et si celui qui l’a écrit pouvait assister au succès de sympathie qui accueille ce qu’il appelait « le testament de sa pensée et de son cœur, » il verrait, qu’il avait tort cette fois, que l’inachevé peut être quelque chose, qu’il peut même survivre à des œuvres achevées qui ont pu se croire un jour sûres de l’avenir. Sur ces notes, sur ces pages suspendues par la timidité de l’auteur ou l’incapacité d’un long effort, il y a comme une grâce indéfinissable qui en complète le charme et même