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faire ? Il serait donc sage détacher, même dans notre politique intérieure, de respecter les préjugés d’une ignorance que nous ne saurions faire disparaître du jour au lendemain.

Laissons la libre pensée faire son chemin toute seule, ce qui ne lui sera pas difficile, et mettons un terme à une lutte qui n’a plus de raison d’être après une si écrasante victoire de l’esprit laïque. Loin de moi la pensée d’une réaction ! Il faut profiter habilement des avantages de ce qui a été fait ; l’église s’y est résignée, le pape s’y est soumis ; revenir en arrière serait une grande faute. Quelque opinion que l’on professe sur le Culturkampf français, il a eu le bon effet d’assouplir le clergé, d’abattre ses exigences, de le rendre patient et plus facile à contenter. Chez nous, comme en Allemagne, les lois et les mesures anticléricales ont produit des résultats irrévocables. Le clergé et les congrégations ne retrouveront pas ce qu’ils ont perdu. Mais on ne pourra leur refuser quelques concessions. C’est pourquoi il serait habile de faire de ces concessions mêmes un élément de notre puissance extérieure et de s’arranger de telle sorte que ce que nous donnerions nous reviendrait indirectement. On y parviendrait en rétablissant la paix religieuse sur le terrain du protectorat catholique. De cette manière, nous serions les premiers à en profiter, et l’église, qui est très fatiguée de la lutte qu’elle soutient contre la France, accepterait sans nul doute nos conditions. La mesure sur le service militaire imposé aux congrégations réaliserait à elle seule les avantages des lois draconiennes qu’on a édictées ou essayé d’édicter, sans en présenter les inconvéniens : elle empêcherait bien mieux que l’article 7 les congrégations d’enseigner, puisque tous les congréganistes devraient vivre à l’étranger ; elle supprimerait aussi bien que les décrets les congrégations elles-mêmes, puisque, comme je l’ai expliqué, elle ne les laisserait subsister qu’à l’état de séminaires ou d’asiles ; enfin, en ne permettant aux congrégations d’acquérir et de posséder qu’au dehors, elle les ferait puissamment servir à la colonisation. Il ne faut point se faire d’illusion ; si nous n’arrivons pas à un compromis avec l’église, si nous continuons la guerre religieuse, tôt ou tard il se produira une réaction dont nous ne serons pas les maîtres. Dans la fierté de nos succès, nous ne songeons pas à l’avenir. Le meilleur moment pour faire la paix est venu. Le laisser passer serait s’exposer à toutes les aventures, à tous les retours de fortune. Aujourd’hui nous pouvons dicter le traité ; il serait sage d’en profiter.


GABRIEL CHARMES.