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Nous ne protégeons pas seulement les missions, nous protégeons les clergés locaux ; or il n’est pas rare de rencontrer en ce moment, non pas en Asie et en Afrique, mais dans l’Orient européen, des évêques qui nous combattent ostensiblement et qui néanmoins sollicitent nos subventions et notre appui. C’est une situation fâcheuse à coup sûr, mais où nous avons notre part de responsabilité. Avec la politique que nous suivons en France depuis quelques années, comment veut-on que des clergés qui ne sont pas français conservent quelque tendresse pour la France ? Ils nous exploitent, parce qu’ils sont pauvres et avides : mais ils ne nous aiment pas, parce qu’ils nous considèrent comme des ennemis du catholicisme. N’est-ce pas notre faute autant que la leur ? Je n’ai garde de juger ici notre politique intérieure ; je remarque seulement que ceux qui s’y sont lancés avec tant d’énergie n’ont pas songé un instant aux conséquences qu’elle devait produire jusqu’aux extrémités du monde. Nous ne sommes plus au temps où il était facile de tenir une conduite au dedans et d’en tenir une opposée au dehors. Ce qui se passe à Paris exerce un contre-coup immédiat dans le monde entier. Les chemins de fer, les bateaux à vapeur, les télégraphes établissent entre la France et les pays où subsiste son influence des relations directes, instantanées et complètes. En quelques jours, en quelques heures même, l’effet d’une mesure prise à Paris se fait sentir dans le Liban. Des centaines de journaux en multiplient l’importance par leurs polémiques passionnées dont l’écho traverse si aisément les mers. Il est naturel que nos adversaires en profitent pour tâcher d’éloigner de nous ceux qui étaient nos amis. Si quelques-uns de ces derniers se laissent séduire, doit-on s’en étonner ou s’en irriter ? Il serait peut-être plus sage, avant d’embrasser une politique, de se demander non-seulement quels seront ses résultats sur notre territoire, mais quel effet elle exercera sur notre prestige extérieur.

Au reste, s’il y a dans certaines parties de l’Orient européen des évêques et des prêtres indigènes qui montrent à la France un véritable mauvais vouloir, il faut du moins excepter la Syrie, c’est-à-dire le centre de notre action religieuse dans la Méditerranée. Là, tous les clergés, à quelque rite qu’ils appartiennent, professent pour la France, même depuis les décrets, un culte affiché. Le gouvernement républicain ne leur répugne en rien ; ils en parlent avec le plus grand respect ; ils connaissent et ils aiment les hommes qui le dirigent ; ils leur pardonnent beaucoup parce qu’ils espèrent qu’en dépit de certaines apparences assez effrayantes, ils resteront fidèles à la vieille tradition du protectorat catholique. Il règne entre les différentes communautés une véritable émulation de patriotisme