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préféré d’ordinaire s’abriter sous leur rôle religieux et soutenir que tout ce mal qu’on disait d’eux les laissait indifférens, parce qu’ils ne songeaient qu’à leur œuvre surnaturelle. Leur en faire un reproche, n’est-ce pas pousser l’injustice jusqu’à la folie ? On a accusé très vivement le directeur des jésuites à Madagascar d’avoir déclaré au ministre hovas qu’il n’était pas un agent de la France. Et comment voulait-on qu’il fît autrement ! Pouvait-il, sans prêter à rire, se donner pour le représentant d’une nation qui l’expulsait ? Pouvait-il continuer son œuvre de civilisation française, sans essayer de faire croire que cette œuvre était indépendante de la France qui le proscrivait ? Il est certain que les décrets ont placé les congrégations religieuses au dehors dans une situation bien délicate ; elles ne sauraient s’en tirer qu’à force de souplesse, de modération, d’habileté. Mais si, depuis les décrets, elles sont forcées quelquefois de ne pas parler tout haut de la France, elles n’ont pas cessé d’enseigner notre langue et notre histoire, de propager nos mœurs et nos idées, de faire connaître et de faire aimer nos gloires nationales. Elle n’ont rien changé à leur propagande, qui s’exerce toujours à notre profit. Je dis cela parce que je l’ai constaté de mes yeux sur tous les points de la Méditerranée, et l’on me permettra, à moi qui ne suis animé d’aucune passion religieuse d’aucun genre, de rendre aux missions ce témoignage que leur patriotisme au dehors n’a pas même été ébranlé par la terrible persécution qu’elles ont subie au dedans.


II

Toute préparation à la colonisation sur un point quelconque du globe se compose de deux parties : l’action géographique et industrielle, et l’action civilisatrice. Lorsqu’on veut s’emparer d’une contrée nouvelle, il faut y lancer de hardis explorateurs, qui, comme M. Savorgnan de Brazza, en étudient la constitution physique, y nouent des relations politiques avec les habitans, y créent des œuvres de commerce. Mais, en même temps, il faut y envoyer des hommes de dévoûment capables d’y fonder des écoles où l’on apprend aux indigènes notre langue, nos arts, notre morale, et des hôpitaux où on les soigne ainsi que les Européens sur le tempérament desquels le climat et les fatigues d’une vie barbare causent des effets si délétères. Ce dernier point est essentiel. Qu’on lise les récits des premiers explorateurs du Gabon, des voyageurs qui ont préparé la route où s’est engagé M. de Brazza, ou qui l’ont suivie les premiers avec lui, le marquis de Compiègne, M. Marche, etc. ; tous ont été frappés de maladies graves, et tous ont trouvé auprès des sœurs de Saint-Vincent de Paul et des religieux hospitaliers des soins sans