Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hypothétique qu’elle paraisse, est néanmoins le vrai but de tous leurs efforts. A cet égard, ils ne diffèrent en rien des catholiques. Mais leur zèle dépasse en intempérance celui de ces derniers. Hommes et femmes se livrent à qui mieux mieux à la propagande. Que de fois n’a-t-on pas à se défendre contre le prosélytisme intempestif de, vieilles Anglaises qui vous glissent furtivement dans la poche les publications des sociétés bibliques ? Il n’y a pas de congrégation catholique plus envahissante que ces sortes de confréries féminines, dont les membres pullulent avec une inépuisable fécondité. On en trouve dans les bateaux, dans les diligences, dans les villages, dans les fermes isolées, sur les grand’routes, dans les déserts même, tant la rage de l’apostolat connaît peu d’obstacles ! Mais les missions régulières ne sont ni moins nombreuses ni surtout moins influentes. Grâce à l’esprit d’association qui règne en Angleterre, elles ont une organisation des plus fortes, et grâce à l’énergie de l’initiative individuelle, aucune ressource ne leur manque. L’état d’ailleurs les protège, les soutient, les encourage toujours. Il ne faudrait pas proposer à l’Angleterre d’abandonner le protectorat protestant qu’elle exerce en fait sinon en droit. Elle n’ignore pas que les bibles protestantes répandent partout sa langue, et que les missionnaires sont les meilleurs agens de civilisation dont un grand peuple puisse se servir pour arracher à la barbarie les contrées qui y sont encore plongées. Notre zèle antireligieux lui paraît inexplicable. Pour elle, là où elle n’a pas à craindre les catholiques, elle ne les favorise pas moins que les protestans, parce qu’à son avis, le christianisme, sous quelque forme qu’il se présente, est préférable à la sauvagerie pure. C’est ainsi qu’elle a bâti une chapelle à Steamer-Point et qu’elle en a confié le service religieux aux capucins d’Aden, auxquels elle sert à cet effet un traitement annuel de 12,000 francs. Cela permet à ses soldats irlandais d’aller à la messe ; mais, de plus, cela aide les pères capucins et les sœurs d’Angers qui forment, avec les capucins, le personnel de la mission d’Aden, à ouvrir pour les enfans çomalis des écoles assez fréquentées. Les Anglais n’y voient point de mal, au contraire ; car ils accordent souvent sur leurs bateaux aux missionnaires catholiques les réductions de place que nous commençons à leur refuser.

Mais qu’importe, dit-on ? L’Angleterre est une nation piétiste et dévote ; si sa piété et sa dévotion servent, par-dessus le marché, à ses progrès coloniaux, ce n’est pas une raison poursuivre son exemple et pour essayer, comme elle, de transformer la Bible ou le catéchisme en instrument de développement extérieur. D’ailleurs, les missionnaires protestans ne ressemblent pas aux nôtres ; ils vivent de la vie laïque ; ils ont femme et enfans ; ils travaillent doublement à la colonisation, puisqu’ils peuplent en même temps qu’ils prêchent,