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patriotisme, et nous disons que c’est une faute de frapper au cœur la mission qui reste seule à soutenir, sur le territoire malgache, le prestige du nom français. Hélas ! la France est trop loin pour savoir ce qui se passe dans ce pays, où nous sommes la risée des Anglais et la dupe des indigènes. Nos grands politiques de la chambre des députés et du sénat, nos illustres diplomates, ne se donnent probablement pas la peine de lire tout ce qui s’écrit de Madagascar et sur Madagascar. Et cette indifférence, cette inertie encourage les Anglais à dire aux Malgaches : « Depuis ses défaites de 1870-71, la France ne compte plus parmi les puissances. » Les jésuites combattaient l’influence anglaise à Madagascar. Là ils ne pouvaient pas faire de mal à la France, ils ne lui faisaient que du bien. »

Si éloigné que soit Madagascar, « nos grands politiques de la chambre et du sénat, » pour parler comme le Moniteur de la Réunion, ont fini par savoir ce qui s’y passait. Dès que les missionnaires anglais ont eu connaissance de la fermeture du séminaire de la Réunion, il leur a été très facile de démontrer au gouvernement hovas qu’il ne pouvait mieux faire que d’imiter la France et de persécuter sur son territoire la congrégation qu’on expulsait des colonies françaises comme malfaisante et criminelle. De là le triomphe incontesté des méthodistes et des anglicans, contre lequel tonnent les journaux radicaux de Paris sans s’apercevoir que ce triomphe est leur œuvre. Une persécution odieuse a immédiatement commencé à s’exercer à Madagascar, non-seulement sur les missionnaires catholiques, mais sur leurs prosélytes. Et comme, dans ces pays sauvages ou à demi civilisés, ainsi que le remarque Francis Garnier, ainsi que l’ont remarqué tous les voyageurs sans exception, la religion et la patrie sont confondues dans le sentiment des populations indigènes, il en est résulté que la guerre aux jésuites a dégénéré en guerre à la France. Je n’ai pas à en raconter ici les suites, tout le monde les connaît. Mais comment ne pas déplorer l’ignorance avec laquelle on se lance chez nous dans une politique d’aventures sans se préoccuper des contre-coups quelle doit avoir fatalement partout où subsiste un lambeau d’influence française !

Oh ! que les Anglais sont moins aveugles et plus prévoyons que nous ! Lorsqu’on voyage en Orient, on rencontre partout des écoles et des asiles protestans qui travaillent avec une invincible ardeur à répandre la foi chrétienne d’abord et l’amour de l’Angleterre ensuite. Il est faux, quoi qu’on en dise, que les méthodistes et les anglicans mettent leur pays au-dessus de leur religion, c’est une de ces niaiseries qu’on répète sans cesse et qui n’en sont pas moins inexactes. Les méthodistes et les anglicans sont avant tout et par-dessus tout des missionnaires. Leur attachement pour la patrie terrestre ne vient qu’après leur attachement pour la patrie céleste qui, tout