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pouvons ajourner nos désirs à des temps plus prospères ; mais si jamais, accomplissant la parole de l’écriture, la race de Japhet vient s’asseoir sous la tente des races sémites, l’Europe doit s’y attendre, la France doit l’espérer, les missions catholiques nous auront gardé notre place à ce nouveau foyer de richesse et de grandeur[1]. »

Mais qu’importent ces grandes perspectives d’avenir ? Périsse, pour nous, la Chine, s’il faut de voir une partie de ses richesses à des missionnaires et à des moines ! Ce qui vient de se passer à Madagascar prouve de quelle manière on comprend chez nous le patriotisme dès que la question cléricale est en jeu. Personne n’ignore que les missions protestantes anglaises ont fait la conquêtes morale de cette île sur laquelle nous nous sommes bornés jusqu’ici à posséder des droits théoriques. Avec l’ardeur dévorante qui leur est propre, elles l’ont couverte d’écoles et d’asiles ; elles y ont créé partout des stations ; elles y publient huit journaux périodiques, dont six en langue malgache ; enfin elles se sont introduites auprès de la reine des Hôvas, l’ont convertie du même coup à leur communauté et à leur politique, et ont entrepris avec elle de détruire dans cette île, qui a porté le nom de France orientale, les derniers et malheureux débris de notre influence. Pour lutter contre une action si vigoureuse, qu’y avait-il à Madagascar ? Des jésuites, des frères de la doctrine chrétienne, et des sœurs de charité. C’était peu sans doute, car nos missions sont bien loin de posséder les richesses et les ressources de toutes sortes des missions protestantes ; néanmoins, dans ce combat pour la patrie aussi bien que pour la foi, nous n’étions pas toujours vaincus. Les écoles de la mission française de Madagascar étaient fréquentées par quatre mille deux cent vingt-six garçons et quatre mille quatre cent soixante-trois filles ; cela suffisait pour que la France ne fût point totalement évincée. Malheureusement le coup de foudre de l’exécution des décrets est venu détruire ou du moins ruiner les établissemens français de Madagascar. Il existait dans l’île de la Réunion un séminaire de jésuites, où ceux-ci se préparaient à l’évangélisation des Malgaches, et où ils revenaient réparer leurs forces épuisées par la politique et l’apostolat, non moins que par les fièvres qui règnent dans la grande île africaine. Cette pépinière des missions de Madagascar a été subitement et brutalement fermée, malgré les protestations de toute la population éclairée de la Réunion, dont un journal d’un républicanisme incontesté, le Moniteur de la Réunion, traduisait les sentimens en ces termes : « Nous n’avons jamais mangé de prêtres ; nous ne connaissons aucun jésuite. Mais nous avons le sentiment du

  1. Voyage en Chine et dans les mers et archipels de cet empire pendant les années 1847, 1848, 1849, 1850.