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pasteurs de ces petits troupeaux et les autorités locales ; l’empressement que les agens du gouvernement mettent à réclamer le concours des missions dans les circonstances difficiles, étonnent et charment à la fois. C’est le nom de la France qui est surtout connu des mandarins chinois et aimé des chrétiens indigènes. Pékin nous en fait un crime. Pourquoi ne comprend-il pas qu’en entrant franchement dans les voies de la civilisation, il transformerait cette influence et ferait des missionnaires les plus solides auxiliaires du gouvernement central[1] ? »

Combien les déclamations radicales paraissent creuses en présence de pareils témoignages ! Il y a chez nous des hommes qui ne seront pas satisfaits avant que nous ayons renoncé au protectorat catholique, lequel, pour la Chine seule, s’étend à cinq cent mille personnes. Au moment où les efforts de toutes les puissances commerciales se portent vers cet immense empire, au moment où nous rêvons nous-mêmes de pénétrer dans ses provinces méridionales et d’en attirer à nous les richesses, il faudrait, pour complaire à quelques théoriciens d’athéisme, abandonner cet admirable instrument de cinq cent mille catholiques qui, suivant Francis Garnier, aiment et connaissent surtout la France. Dès 1850, un écrivain dont le nom est cher aux lecteurs de la Revue, l’amiral Jurien de la Gravière, témoin de la propagande de nos missionnaires, écrivait : « Pour attacher à la France, à la conservation de son influence morale en Chine, nous n’avons pas besoin d’invoquer des calculs positifs, qui paraîtraient aujourd’hui prématurés ; nous ne demandons point que le patronage des mandarins chinois devienne dans nos mains un levier politique ; mais nous ne pouvons oublier que le jour où l’unité du Céleste-Empire viendrait à se dissoudre, le jour où la France serait appelée à intervenir d’une façon plus directe et plus pressante dans les affaires de l’extrême Orient, la France serait la seule puissance européenne dont le nom pût être invoqué avec confiance par une partie de la population chinoise. Les intérêts commerciaux peuvent naître pour nous de la moindre modification apportée dans nos tarifs, du plus léger changement qui se produira dans les marchés de l’Asie ; les intérêts politiques sont déjà créés. L’Orient est plein de sourdes et mystérieuses rumeurs. Tout indique que cette vieille société est profondément ruinée et tremble sur sa base. Il ne dépend point de la France de fermer ces vastes perspectives ; il est de son devoir de les envisager avec sang-froid et de méditer le rôle qu’elles lui réservent. Nous pouvons ne point presser de nos vœux ce moment d’inévitable expansion, nous

  1. De Paris au Thibet, pages 395 et 396.