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session de décembre, il avait même paru prendre une certaine consistance. Il a eu le sort de tous ces ministères qui se succèdent depuis quelques années, qui disparaissent au premier accident imprévu. L’accident cette fois a été cette question des prétendans, qui a fait éclater les divisions ministérielles, qui a créé pour ainsi dire deux camps dans le gouvernement. D’un côté, M. le président du conseil, M. le ministre de la guerre, M. le ministre de la marine ont tenu à garder quelque mesure ; d’un autre côté, un certain nombre de membres du cabinet se sont montrés visiblement disposés à subir les exigences des agitateurs, des prescripteurs du parlement. Sur ces entrefaites, M. le président du conseil a eu la mauvaise fortune de tomber malade, et pendant ce temps quelques-uns des ministres, sans consulter leur chef, se sont prêtés à cette prétendue transaction qui a pris le nom de proposition Fabre, que M. Duclerc a refusé de ratifier de concert avec M. le général Billot et M. l’amiral Jauréguiberry. La crise se trouvait dès lors flagrante, et par une particularité bizarre, ce qui s’était passé il y a deux ans pour M. de Freycinet vient de se renouveler encore aujourd’hui. Dans une question toute politique, c’est encore une fois le chef du cabinet qui disparaît avec les deux collègues ralliés à son opinion ; ce sont les partisans de la transaction Fabre, les dissidens, M. le ministre de l’intérieur, M. le garde des sceaux et les autres qui restent maîtres du terrain, qui demeurent chargés pour le moment du pouvoir, qui représentent ce qui survit de gouvernement.

Un ministère s’est brisé, on a voulu n’en pas laisser perdre les morceaux : soit, c’est bien heureux ! Seulement, à parler en toute franchise, tout ce qui vient de se passer est bien peu sérieux et n’est plus même de la politique. C’est faire un peu trop bon marché de la dignité des institutions et de la France elle-même que d’envoyer devant un parlement, dans des circonstances graves, un cabinet de passage, sans caractère, sans signification, sans ministre des affaires étrangères, sans ministre de la guerre. Comment va finir cet imbroglio ? Ce qui est certain, c’est que cette situation ne peut se prolonger et que si avant peu on n’a pas retrouvé une majorité, un gouvernement, il ne restera plus d’autre ressource que de recourir à une dissolution, d’appeler le pays lui-même à se prononcer sur ses intérêts, sur les conditions de sa sécurité et de sa politique, sur son avenir.


CH. DE MAZADE.