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d’Aumale a la passion des choses militaires, qu’il connaît mieux que tout autre. Il aime à se trouver. avec des généraux qu’il a connus depuis trente ans, avec des officiers dont il a été le chef. Il a aussi parfois des chasses à Chantilly, et il envoie du gibier à ses amis. Est-ce que tout cela ne constitue pas une redoutable propagande ou, pour parler l’élégant langage d’aujourd’hui, un vaste et dangereux « embauchage ? » M. le duc de Chartres, qui est colonel de cavalerie, qui a gagné sa position militaire dans la défense nationale de 1870, profite d’un congé régulier pour visiter un camp d’instruction, pour aller assister à des manœuvres de cavalerie : autre preuve évidente de conspiration orléaniste ! Est-ce tout ? Il paraît bien aussi que, dans les relations de société et de monde, il y a encore des gens bien élevés qui n’ont pas perdu l’habitude de donner aux princes le titre de « monseigneur, » et c’est là assurément un fait grave propre à appeler toutes les méditations de M. Floquet ; mais quoi ! M. Thiers disait bien un jour, dans l’assemblée nationale, qu’il avait l’habitude de donner ce titre de « monseigneur » aux princes des familles qui avaient régné. On n’a qu’à demander à M. le président de la république lui-même, à M. Jules Grévy en personne, de quel titre, de quelle expression il s’est servi lorsqu’il a reçu M. le duc d’Aumale comme membre de l’Académie ou lorsqu’il a eu l’occasion de faire appel à la bonne grâce du prince pour sa réception comme chevalier de la Toison d’or. M. le président de la république serait donc, lui aussi, un conspirateur pour avoir donné sans embarras ce titre de « monseigneur » à un prince appartenant à une famille dont l’histoire se confond avec l’histoire de la France ? Et voilà cependant à quelles puérilités on descend, quels commérages on recueille et on colporte dans des commissions prétendues sérieuses pour en venir à dépouiller des princes du droit de vivre en France, à leur enlever des grades que M. le ministre de la guerre déclare inaliénables, à leur appliquer enfin sous toutes les formes la rigueur des lois d’exception !

C’est, en vérité, une étrange chose. A part même toutes les questions de droit, d’équité souveraine que soulèvent toujours ces mesures d’exception, il semblerait que des républicains intelligens, à demi prévoyans, loin de prendre ombrage de la présence des princes, devraient, au contraire, y voir un avantage. Ils devraient considérer comme un intérêt et un gage de sécurité pour la république de voir des princes éclairés, instruits, se mêler à la vie française, servir le pays dans l’armée, entrer dans les assemblées locales ou législatives, honorer les lettres par de brillans récits sur les plus mémorables époques de l’histoire. Les princes d’Orléans n’ont jamais prétendu, que nous sachions, à une situation exceptionnelle et privilégiée. Ils sont restés toujours soumis aux lois, évitant même avec une extrême réserve tout ce qui pourrait ressembler à un acte d’opposition ou de