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contraire, que le commencement d’une crise bien autrement grave. A peine l’arrestation du prince Napoléon a-t-elle été accomplie, tout s’est trouvé changé d’un instant à l’autre, une étrange campagne s’est ouverte. Un véritable esprit de vertige s’est emparé des partis extrêmes, du monde parlementaire, et, par une conséquence instantanée, le mouvement dont le manifeste napoléonien déterminait l’explosion a été aussitôt tourné par les tacticiens du radicalisme contre tous les princes des familles qui ont régné sur la France. Une occasion était manifestement attendue avec impatience : l’affiche du prince Napoléon est venue fort à propos ! Dès ce moment, il a été démontré dans les journaux révolutionnaires, dans les conciliabules radicaux de la chambre, que la conspiration était partout, non-seulement parmi les impérialistes, mais bien plus encore parmi les royalistes. Si bizarre que cela puisse paraître, c’est pourtant ainsi : la conspiration est partout ! les nouvellistes lancés à la découverte l’ont dit, et ils le savent apparemment. Ils ont compté homme par homme les légionnaires de la prochaine insurrection organisée en Bretagne et en Vendée. Ils savent au plus juste le nombre des millions recueillis et déposés en Angleterre pour les besoins de la cause. Ils ont vu M. de Charette présidant au défilé nocturne de ses zouaves en pleins Champs-Elysées et distribuant des poignards ornés d’un crucifix. Ils ont assisté sans se montrer au dernier conseil intime tenu par des personnages considérables qu’ils désignent par leurs noms et dont ils répéteraient, si on les pressait, tous les discours. Les plans, les ressources, les mots d’ordre, les signes de ralliement, les détails les plus secrets, ils savent tout, rien ne leur échappe. On en est là depuis quelques jours, on vit de ces hallucinations, de ces fables, auxquelles on finit par croire et dont on fait sérieusement des thèmes d’accusation. Ce qu’il y a d’étrange, de tristement étrange en tout cela, c’est cette grossière et révoltante naïveté avec laquelle la délation se déploie, et ce qu’il y a de plus curieux encore peut-être, c’est cette crédulité mêlée d’hébétement avec laquelle on accueille dans un certain monde toutes ces inventions. On a créé une atmosphère telle que les contes les plus ridicules ont quelque chance de passer au bout de quelques jours pour des vérités et d’être représentés comme la preuve authentique des menées ténébreuses des prétendans.

La conspiration est partout, c’est entendu, c’est le mot d’ordre, et voilà pourquoi M. Floquet, appelé visiblement à sauver la république, devait nécessairement se hâter de faire une proposition, de demander tout simplement l’expulsion des princes, le rétablissement des lois d’exil abrogées il y a douze ans par l’assemblée nationale. Voilà pourquoi aussi M. Lockroy, M. Ballue et quelques autres, pour témoigner leur zèle, ne pouvaient faire moins que d’imaginer à leur tour des propositions destinées à frapper les princes de peines ou d’exclusions