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indifférence, il ne serait plus resté que le souvenir d’une affiche éphémère, d’un acte peu sérieux échappé à l’impatience d’un prince embarrassé de son rôle. Si, à la rigueur, pour une raison ou pour une autre, on se croyait obligé de recourir à quelque mesure de répression ou de précaution, il n’y avait qu’une manière de procéder, c’était de prendre résolument la responsabilité de conduire le prince Napoléon à la frontière et d’aller immédiatement demander aux chambres la sanction de la mesure d’exception à laquelle on se serait décidé. Les chambres se seraient vraisemblablement empressées de donner le bill d’indemnité qui leur aurait été demandé dans ces circonstances, et la question se trouvait tranchée pour le moment sans que la situation politique fût compromise.

On n’a malheureusement rien fait de ce qu’on aurait pu faire. Le gouvernement ne s’est senti ni assez fort pour montrer une longanimité d’ailleurs sans péril, ni assez hardi pour prendre l’initiative d’un acte d’énergie qui eût peut-être relevé son ascendant devant les chambres. Le ministère a évidemment manqué de sang-froid, de décision, et, en croyant tout concilier par l’arrestation bruyante du prince Napoléon, par une sorte d’instruction judiciaire qui ne peut conduire à rien, il s’est exposé à compliquer, à aggraver les difficultés. Il s’est jeté d’abord tête baissée dans des discussions de légalité inextricables : car enfin si le prince Napoléon est poursuivi pour ses affiches, pour un délit de presse, il ne pouvait, d’après les nouvelles lois, être arrêté préventivement et encore moins être retenu pendant quinze jours ; s’il est poursuivi pour attentat ou tentative d’attentat contre la sûreté de l’état, l’accusation paraît tellement démesurée qu’elle ressemble à un expédient imaginé pour pallier une méprise, pour se tirer d’affaire. Le ministère ne s’est pas aperçu de plus qu’en donnant le retentissement d’une poursuite à un manifeste probablement destiné à rester sans écho, il allait doublement contre son but : il exagérait la signification, le danger d’un acte dont l’auteur ne s’attendait pas sans doute à faire tant de bruit et il offrait, d’un autre côté, un prétexte aux partis intéressés à susciter, à entretenir les inquiétudes pour les exploiter. Il n’a pas vu qu’en perpétuant une question irritante, il courait le risque de la retrouver bientôt devant lui, envenimée, grossie, dénaturée par les passions ; il autorisait par une première concession, par une sorte de demi-complicité un mouvement qu’il ne pourrait plus peut-être contenir, devant lequel il serait réduit à se retirer ou à s’humilier. Il ouvrait enfin la voie aux agitations, aux entreprises violentes, aux accusations et aux suspicions de toute sorte.

Qu’est-il arrivé, en effet ? Si le ministère avait cru pouvoir se flatter d’en finir rapidement avec un incident importun, de limiter la répression au prince Napoléon et à son manifeste, il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il s’était singulièrement trompé, que ce n’était 15, au