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ennuyeux, grässlich langweilig. Il regrettait Berlin, les Berlinois, le tumulte des débats parlementaires. Il déclarait qu’un diplomate lui paraissait un animal plus prétentieux et plus ridicule « qu’un député de la seconde chambre qui se rengorge et se pavane dans le sentiment de son importance. » Il déclarait aussi que la diplomatie n’est qu’un pompeux charlatanisme, l’art de persuader aux autres qu’on est cousu de secrets et de se persuader à soi-même que les autres savent ce qu’ils ignorent. Il s’était bien douté, avant d’arriver à Francfort, « qu’on n’y faisait que de la soupe à l’eau ; » mais il reculait d’horreur « devant une soupe si maigre qu’on ne pouvait y découvrir un œil de graisse. » Toutefois il faisait preuve de bon vouloir, d’application ; il s’exerçait à parler beaucoup sans rien dire, et il écrivait à Mme de Bismarck : « Si, en lisant les rapports que je lui envoie, Manteuffel réussit à savoir ce qu’il y a dedans, il est plus avancé que moi. » En vain tâchait-il de secouer sa mélancolie en se promenant à cheval, en courant le pays, ses ennuis et ses dégoûts montaient en croupe avec lui, et dans ses accès d’humeur noire, il affirmait « qu’il lui en coûterait aussi peu de quitter la vie qu’une chemise sale. »

Mais il ne tarda pas à changer d’avis. A peine le général de Rochow fut-il parti, le laissant maître de la place, il se réconcilia avec son métier, prit en gré ses occupations. Il était dans sa nature d’aimer les responsabilités autant que d’autres les redoutent ou les fuient. Son fardeau lui devint cher, Francfort ne l’ennuyait plus, il ne regrettait plus Berlin. On l’y rappelait souvent, il ne faisait qu’y toucher barres et s’empressait de regagner son poste. Les discussions parlementaires et leurs bruyans orages lui plaisaient de moins en moins. Il estimait « que l’air qu’on respire dans les assemblées a quelque chose de démoralisant qui gâte les meilleurs esprits, » que les intrigues des chambres, qui, vues de loin, semblent des merveilles, ne sont en réalité que de pitoyables comédies, que la tribune sert de tréteau à de petits hommes qui se font une fête d’étaler aux yeux de l’univers l’énormité de leurs prétentions et le ridicule de leur vanité. « Quand j’arrive de Francfort, écrivait-il au mois de mai 1852, je me fais l’effet d’un homme dégrisé parmi des gens ivres. » Ce langage peut sembler sévère, mais nous constatons en ce moment le mal que fait à un pays une assemblée qui n’a plus sa tête. « Quand Auguste buvait, la Pologne était ivre. »

Ce n’était pas une tâche agréable ni commode que de représenter la Prusse à la diète germanique en l’an de grâce 1851. Depuis 1848, le roi Frédéric-Guillaume IV, incertain de sa conduite, obéissant tour à tour ou résistant aux opinions nouvelles et aux passions populaires, continuellement ballotté entre ses scrupules et ses fantaisies, avait eu des velléités ambitieuses suivies de prompts et dangereux repentirs. Il avait conçu le projet de mettre l’Allemagne du Nord sous sa tutelle, il avait fondé l’union restreinte, convoqué un parlement allemand à Erfurth.