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La reine attendait avec anxiété le résultat de son stratagème. Les fêtes avaient cessé ; le calme et le silence succédaient dans le palais et dans la ville au tumulte des premiers jours. Le carême s’avançait, et l’approche de la semaine sainte montrait la Pologne sous un aspect nouveau, celui d’une dévotion exaltée et farouche. Jusqu’au milieu de la nuit des pénitens parcouraient les rues en longues files, se frappant avec des fouets armés de pointes de fer, étalant leurs épaules ruisselantes de sang. Des terrasses du château nos Françaises apercevaient les villages voisins de Varsovie illuminés par la lueur des torches qui accompagnaient ces sinistres processions ; elles entendaient se répondre au loin les cris des victimes volontaires. À ces nuits d’épouvante succédaient de moroses journées dans les appartemens du château, rendus plus tristes encore par la pâle lumière d’un printemps sans soleil. À cette heure, Marie ne fit-elle point de douloureux retours sur le passé ? Ne maudit-elle point sa grandeur en la comparant à l’aimable liberté que naguère Paris lui avait offerte ? Elle revit sans doute par la pensée la belle demeure d’où sa vue embrassait les perspectives pittoresques de la Seine et de la cité, le luxe discret dont elle s’était environnée, son cercle d’intimes, les réunions où elle goûtait au milieu d’une compagnie de son choix les délicats plaisirs de l’esprit, peut-être aussi les promenades à la tombée du jour dans les allées du Cours-la-Reine, où une société d’élite se donnait rendez-vous. À ces heureux souvenirs le cœur de Marie dut soupirer et ressentir avec plus d’amertume les dégoûts et les tristesses du présent.

Pourtant l’abord du roi ne trahissait plus le même ressentiment ; il observait envers la reine une politesse déférente et semblait éprouver en sa présence une sorte de crainte. On eût dit qu’il se défendait contre lui-même et que des sentimens divers se heurtaient dans son âme. La maréchale commençait à nourrir l’espoir que la patience et la soumission de Marie suffiraient à le ramener, lorsqu’un accident imprévu vint tout compromettre. Une perfide indiscrétion allait de nouveau tenir en suspens le sort de Marie, et cette fois le coup devait partir de son entourage même. Jalouse de l’affection que la souveraine montrait à Mmes de Langeron et des Essarts, et de quelques faveurs que le roi lui-même leur avait accordées, Mme d’Aubigny fit entendre à Wladislas par une voie détournée que toutes deux avaient été jadis les confidentes des amours de Marie et l’avaient servie dans ses galantes intrigues. — A cet avis qui rouvrait une blessure lente à se fermer, le vieux monarque ne se posséda plus ; la présence des deux coupables à sa cour lui parut un insupportable affront ; il crut son honneur intéressé à sévir, et son courroux fit explosion. Un soir, dans un cercle nombreux, Mme d’Aubigny dit