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III

Les mutuelles angoisses qui tenaient oppressé le cœur des deux époux ne dépassaient pas encore les murailles du palais ; au dehors, la ville entière ne songeait qu’à célébrer l’arrivée de la jeune souveraine, dont la grâce l’avait charmée. Wladislas, bien qu’il annonçât la continuation et l’aggravation de son mal, avait ordonné que les fêtes eussent leur cours ; il fallut que Marie refoulât ses larmes et se parât avec magnificence pour assister au festin des noces. Dans la grande salle du château, autour d’une table où se dressaient des pyramides de sucre d’une hauteur de dix pieds et des bêtes fauves tout entières dans l’attitude de la vie, le roi et la reine prirent place avec quelques personnages privilégiés. Durant le repas, Wladislas ne parut sensible qu’aux charmes de la jeune demoiselle de Guébriant et pensa lui accorder une marque insigne de sa bienveillance en ordonnant qu’on lui fît présent des pièces monumentales de confiserie qui ornaient la table. Tous les ambassadeurs assistaient à cette scène, à l’exception de celui de Russie ; il n’avait pas été convié, « à cause de la rudesse et de la barbarie de sa nation, » disent les écrits du temps. La maréchale avait exigé et obtenu une place spéciale, sur le même rang que le prince Charles ; elle ne perdait pas une occasion pour affirmer ses prérogatives et s’assurer le droit, lorsqu’elle jugerait le moment venu, de parler avec autorité.

Les jours suivans, les députés des villes et des provinces, ainsi que les membres des principales familles, vinrent visiter la nouvelle souveraine et lui porter leurs dons de joyeux avènement. Marie vit déposer à ses pieds d’inestimables trésors, les chefs-d’œuvre d’un art original et parfois exquis, des cabinets d’ambre délicatement ouvragés, de lourdes chaînes de pierreries, des coffrets d’or massif, des buires d’argent ciselé où l’habileté du travail ne le cédait en rien à la richesse de la matière. Debout aux côtés de sa princesse, Mme de Guébriant accueillait les cadeaux et répondait aux complimens ; Marie remerciait d’un sourire ; elle aimait à recevoir, mais seulement pour récompenser avec générosité ceux qui la servaient. « Je ne veux rien amasser, disait-elle, car, quelque peu que j’aie de bien, si je demeurais veuve, j’en aurais toujours assez pour être reçue par la mère Angélique, à Port-Royal-des-Champs. » Après les seigneurs polonais, elle vit paraître les ministres étrangers ; chacun d’eux avait su trouver, pour le lui offrir, quelque objet produit par l’industrie ou conforme au génie de sa nation. L’ambassadeur