Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrête[1]. » Le prétexte allégué par lui était une violente attaque de goutte, qui ne lui permettait point de recevoir dignement sa jeune femme ; mais, s’il faut en croire les indiscrétions qui vinrent plus tard de son entourage même, Wladislas exagérait pour la circonstance le mal dont il souffrait depuis de longues années ; , un motif plus grave avait dicté sa détermination : la lettre de Bois-Dauphin lui était parvenue et avait produit son effet.

Ce contre-temps inattendu surprit douloureusement Marie ; sans en connaître le véritable motif, peut-être le soupçonnait-elle ? Assiégée de vagues terreurs, elle se reprit à se défier de la destinée. Aucune pensée de résistance ne lui vint ; elle commanda à son escorte de suspendre la marche, « mettant son honneur, dit son historiographe, à commencer d’obéir là où elle devait commencer de régner[2]. » Moins faciles à décontenancer, la maréchale et M. de Brégy insistèrent pour que l’on fît encore quelques pas et obtinrent qu’au moins l’on prendrait position sur le sol de la Pologne. Ils n’eurent point à regretter cette inspiration, car peu de jours après un nouveau courrier se présentait de la part du roi : regrettant la rigueur de sa première décision ou dominé par un sentiment plus fort que sa colère, Wladislas signifiait à la reine la permission de continuer son voyage, mais l’avertissait en même temps que, retenu par son indisposition, il ne pourrait l’aller trouver à Dantzick, et l’attendrait à Varsovie.

Sur la frontière de ses états, Marie fut reçue par un évêque qui lui adressa ces seules paroles : « Intende, felix procede et regna : comprends, sois heureuse et règne. » A cet accueil sévère succédaient plus loin les hommages courtois du prince Charles, frère du roi, et de quelques grands seigneurs venus spontanément au-devant du cortège. En approchant de Dantzick, Marie et ses compagnons découvrirent un spectacle grandiose. Dans une plaine au-delà de laquelle s’élevait la masse imposante des fortifications de la ville, on eût dit que la Pologne entière s’était assemblée, avec la bigarrure de ses costumes et son luxe formé de contrastes. Sur la terre couverte de neige c’était un désordre étincelant de tentes formées par les plus riches tapis de la Perse, d’armures féodales et d’étoffes soyeuses, de bannières armoriées et de cimeterres luisant au soleil. La plus grande partie de la noblesse, malgré l’absence de son chef naturel, était accourue à ce galant rendez-vous où il s’agissait de recevoir et de saluer une femme ; les moins fortunés d’entre

  1. Rapporté dans la correspondance de Brégy avec sa cour, 9 février 1646. (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Jean Le Laboureur, Relation du voyage de la reine de Pologne et du retour de Mme la maréchale de Guébriant.