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a Wedding Journey, un Voyage de noces, que la région parcourue offre le plus d’intérêt pour un Français. Nous sommes en effet au Canada, cette partie de l’Amérique du Nord restée française par le cœur, les traditions et les souvenirs.

A Chance Acquaintance, une Connaissance fortuite, nous fait encore naviguer sur le Saint-Laurent. Par les yeux de miss Kitty, nous voyons Québec et sa couronne murale, son massif château penché sur un rocher, la chute neigeuse de Montmorency, précipitant dans l’abîme sa perpétuelle avalanche, l’île d’Orléans, aussi fertile et aussi riante qu’au temps où le vieux Cartier, à la vue des vignes sauvages qui festonnaient ses prairies primitives, lui donna le nom d’île de Bacchus. Le bateau à vapeur file toujours vers le Saguenay, ce magnifique affluent du Saint-Laurent, aux aspects plus grands que nature pour ainsi dire. Pendant deux heures encore, les villages se succéderont sur des rives bien cultivées ; chacun d’eux, soit qu’il se cache au fond d’un vallon, soit qu’il escalade une colline, est groupé autour de son clocher, et si vous visitiez ces vieilles églises, vous les trouveriez semblables à celle d’un village catholique de France. Le grand fleuve mélancolique roule large et paisible, tandis que de pâles bouleaux y mirent leur silhouette élégante ; pourtant les montagnes, d’abord lointaines, se rapprochent peu à peu du bord ; dans leurs replis apparaît çà et là, au milieu de solitudes sauvages d’ailleurs, quelque grand hôtel, asile élégant de la fashion, qui rend plus étranges encore, par le contraste de la civilisation voisine, les huttes en écorce, au seuil desquelles les femmes indiennes se reposent en plein soleil, entourées d’un cercle de chiens.

Le mouvement de la marée se fait déjà sentir à Québec, mais c’est à Cacouna seulement que l’eau devient salée ; sauf le ressac, rien ne manque aux bains que l’on y prend et qui ont d’ailleurs tous les avantages des bains de mer ; aussi les Canadiens, fuyant les chaleurs de leur été, aussi ardent qu’il est court, s’y réfugient-ils en masse. Au crépuscule, le bateau atteint Tadoussac et s’abrite dans une crique à l’ombre de collines, au-delà desquelles se découpent d’autres sommets plus imposans, sable ou rocher, sur la stérilité desquels tranche à peine une rangée de pins souffreteux. Le fleuve s’épand en un vaste lac de l’aspect le plus désolé ; quelques îles rompent seules sa vaste et morne étendue. Le rivage s’était abaissé de plus en plus jusqu’à Tadoussac, où il s’élève de nouveau en petites buttes d’une verdure éternelle, la verdure septentrionale, rabougrie, dure et sans fraîcheur. Là, dans l’immensité du Saint-Laurent, vient se perdre un cours d’eau noirâtre qui descend des contrées mystérieuses du Nord. C’est le Saguenay : son embouchure marque le point où, dès le commencement du XVIe siècle, les