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père, tout étourdi, tout dépensier qu’il soit. Il trouve sa femme plus belle qu’aucune autre et il l’adore ; il n’est jamais aussi fier, aussi content que lorsqu’il tient sur ses genoux sa petite Flavie, ou lorsqu’il pousse au soleil la voiture dans laquelle le baby se prélasse au milieu des broderies et des rubans, mais la galanterie sans malice dont il a gardé l’habitude réveille bientôt l’humeur jalouse de Marcia. Elle guette, elle interprète un mot, un regard de son mari, avec une vigilance et une rigueur qui amènent entre eux des scènes d’abord futiles et suivies de raccommodemens, puis sérieuses de plus en plus à mesure qu’elles se renouvellent. Dans toute cette partie du roman, qui traite des motifs infiniment petits et si graves cependant d’où peut résulter le désaccord de deux cœurs qui auparavant semblaient n’en faire qu’un, Howells a déployé une singulière puissance d’observation. Nous connaissons peu d’écrivains qui aient pénétré aussi profondément dans la nature même de la femme, cette créature sensitive et de premier mouvement, capable de supporter, le sourire aux lèvres, tout ce que les jours d’épreuve offrent de plus pénible en fait de difficultés matérielles, mais aux yeux de laquelle il n’y a pas d’offenses minimes, ni de petites trahisons, — cette voyante qui, au-delà du fait, discerne les mobiles et les conséquences avec la divination que prête l’amour, dominant, à l’exclusion de tout le reste, une âme concentrée sur l’unique objet d’où dépend pour elle tantôt la félicité sans mesure, tantôt le malheur sans remède. Quelque exigeante, quelque absurde souvent que Marcia puisse paraître, il est impossible de ne pas s’intéresser à son supplice de toutes les minutes, tandis que la confiance agonise lentement et finit par mourir en elle. Pauvre Marcia ! ses soupçons sans cesse renaissans sont mal fondés parfois, exagérés toujours, mais elle n’en a pas moins raison de craindre et de se désoler.

Bartley n’a jamais été, ne sera jamais de ceux en qui l’on puisse avoir foi. Comme le dit quelque part, avec justesse, le squire Gaylord, il arrive que de vrais coupables vous inspirent, par la volonté visiblement arrêtée de réparer, par l’énergie surtout de leur caractère, une sécurité dans l’avenir que l’on ne saurait ressentir auprès d’un homme faible qui n’a pas fait précisément de mal, mais dont la conscience chancelante est d’ailleurs incapable de concevoir un scrupule ni un remords. Bartley Hubbard est de ces derniers. Bon garçon dans toute l’étendue de ce terme misérable, il n’a aucuns principes. Tandis que sa femme l’accuse, à tort souvent, de trop admirer celle-ci ou de faire la cour à celle-là, il est plus criminel qu’elle ne le croit, mais dans un autre sens. Il commet, par légèreté, des indélicatesses de plus d’une sorte ; il prend l’habitude de boire, et