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amusante et nouvelle ; pourtant the Undiscovered Country ne nous laisse pas une impression d’originalité aussi nette que les autres ouvrages de M. Howells. On se rappelle malgré soi the Blithedale Romance, l’un des romans les plus curieux de Nathaniel Hawthorne, qui nous conduisit jadis au sein d’une société communiste, moins disciplinée, il est vrai, que celle des shakers, pour nous y présenter des types saisissans et variés de maladies morales, des figures d’excentriques mordus par la folie de progrès imaginaires auxquels ils sont capables de tout sacrifier, les autres et eux-mêmes, froidement, systématiquement, sous l’empire d’une idée fixe.

Ceux qui ont lu avec attention l’œuvre d’un des analystes les plus subtils que le siècle ait produits, se rappellent les portraits achevés de Priscilla, la prophétesse, du magnétiseur Westerwelt, de Zénobie, la pauvre femme forte, si faible contre ses passions, de l’autocrate impitoyable, Hollingsworth, du socialiste à demi sceptique. Miles Coverdale. Les principaux personnages de the Undiscovered Country, qui est à sa manière le pays d’Utopie, se rattachent évidemment à ce groupe quelque peu suspect, et l’époque des esprits frappeurs a également inspiré les deux livres que nous sommes loin de vouloir comparer, le talent facile, inoffensif, très franc et très sain de Howells, n’ayant rien de la profondeur troublante, du pessimisme amer et séduisant, de la moralité douteuse qui caractérise le génie de Hawthorne. Mais cependant le docteur Boynton et sa fille partagent, jusqu’à un certain point, avec les rêveurs de Blithedale le tort d’être trop différens du commun des mortels pour nous intéresser beaucoup. Quelque pitié que puisse inspirer Égérie, nous la voyons toujours revêtue de l’apparence équivoque qu’elle a dès les premières pages, sans caractère, sans volonté, annihilée par la domination funeste qui a pesé sur sa vie. En vain l’auteur nous la montre, au dénoûment, épanouie comme une plante qui, de l’air vicié où elle se flétrissait, passe dans un terrain propice et s’y développe ; il a beau insister sur les goûts futiles et gracieux propres à la généralité des femmes, qui s’éveillent peu à peu sur les ruines de ses facultés morbides à jamais conjurées, la rendant semblable aux plus charmantes, la séparant une fois pour toutes du monde des esprits où l’emportait naguère une volonté plus forte que la sienne, elle reste dans notre souvenir avec son costume blanc théâtral, sa pâleur de morte, son regard fixe, remplissant le rôle de médium au milieu des jongleries dont le salon sordide de Mme Le Roy est le théâtre, tandis que les agens invisibles évoqués par l’ignorance, la niaiserie et le charlatanisme de son entourage font danser les tables, mettent en mouvement les boîtes à musique, distribuent des taloches ou des caresses. Son amour pour Ford a le