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puis ce sont des bruits déconcertans de voix qui s’entre-croisent sous vos pieds ; un éventail se met tout seul en mouvement, des parfums subtils remplissent l’air, des bagues sont retirées violemment de tel doigt et se retrouvent à tel autre. Celle-ci a ressenti l’impression d’un baiser, celui-là, une tape sur l’épaule. Toutes ces choses se produisent pour l’édification de badauds, qui exécutent docilement toutes les momeries prescrites par une pythonisse peu recommandable à qui le local appartient, et sous la griffe de laquelle sont tombés pour leur malheur deux précieux auxiliaires, le docteur Boynton et sa fille.

Avec toutes les apparences d’un charlatan, Boynton n’est qu’un rêveur sincère et désintéressé qui s’est mis corps et âme à la recherche de l’impossible. Ce médecin de campagne, séduit par le mesmérisme, s’y est consacré si follement que sa clientèle alarmée lui a tourné le dos. Il est venu alors dans une grande ville où les novateurs ont plus de chances d’être compris, et là il se livre aux superstitions scientifiques qui pour lui ont remplacé la vraie science, afin de faire profiter l’humanité de ses recherches et de ses efforts. Non-seulement il a sacrifié aux aberrations qui le hantent la sécurité d’une carrière honorable, mais encore sa fille unique, que dévorerait le monstre de l’utopie si un sauveur ne surgissait pour délivrer à temps l’innocence, la faiblesse et la beauté vouées à un métier indigne. Égérie, — c’est le nom de miss Boynton, — est la principale attraction des séances avec sa pâleur quasi surnaturelle, ses yeux bleus inquiets et noyés par l’extase, sa sveltesse que l’on dirait diaphane. Victime des fausses théories qui règnent autour d’elle, cette malheureuse enfant subit depuis le bas âge l’influence magnétique à laquelle la délicatesse croissante de sa constitution la prédispose. Son père prend pour un don divin certains symptômes morbides favorisés par la confiance absolue qu’elle a en lui, une soumission passive à ses moindres volontés et l’enseignement des prodiges du mesmérisme dont on l’a toujours bercée. Au fond, elle souhaiterait de se dérober à cette malsaine célébrité de somnambule. Souvent, à l’heure des expériences qui la tuent, elle demande grâce ; mais Boynton, qui l’adore pourtant, est sans pitié, car il s’agit de ce qu’il considère comme le dernier mot de la vérité. Il en est venu à préférer encore mille fois sa chimère à sa fille, qu’il domine d’ailleurs de plus en plus, qui n’est désormais entre ses mains qu’un instrument passif et douloureux. L’ignoble Mme Le Roy exploite donc la science égarée de l’un, l’état cataleptique de l’autre au profit de ses intérêts, sans croire bien fermement à leur bonne foi, persuadée qu’elle est que la question d’argent prime tout en ce monde.

Howells a posé avec esprit ces trois figures de médiums d’espèces