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la Revue donnait tout récemment un agréable échantillon[1], si l’Amérique n’envoyait ses productions abondantes et pleines de saveur pour remédier à cette pénurie.

On peut dire, en présence des nombreux petits volumes qui, partis de Boston, ce séjour favorisé des Longfellow et des Emerson, des Wendell Holmes et des Whittier, des Agassiz et des Lowell, paraissent presque en même temps à Londres et à Edimbourg, que le roman qui languissait en Angleterre a émigré aux États-Unis pour y renaître avec des qualités nouvelles, puisées dans l’observation de mœurs et de caractères différens, dans le tempérament même d’une race qui possède encore les fraîches et robustes qualités de la jeunesse. C’est à l’Amérique, sans contredit, que nous devons aujourd’hui les meilleurs romans écrits en anglais ; l’Angleterre elle-même l’atteste. Aucun ouvrage n’a eu, durant l’année qui vient de s’écouler, la vogue de Democracy, cette brillante et curieuse satire des mœurs américaines, que pouvait seul accepter de bonne grâce un peuple assez sûr de sa force pour savoir entendre la vérité. Traduite aussitôt dans toutes les langues, Démocracy a intéressé l’ancien plus encore que le Nouveau-Monde. Puis nous devons citer la Flip de Bret Harte, où un grand talent qui commence à faiblir et à s’éclipser jette encore çà et là de vives lueurs ; certaines études de Gable, le peintre de l’ancienne vie créole à la Nouvelle-Orléans, esquisses chaudement colorées auxquelles nous rendrions pleine justice si l’on n’avait eu le tort d’établir une comparaison impossible entre elles et les inimitables Récits californiens ; enfin les études profondément intéressantes de la vie contemporaine en Amérique, signées Howells, Henry James, Fawcett, etc., ces émules d’Aldrich, qui, avant tous les autres, fit connaître ici, avec Marjorie Daw, Prudence Palfrey, et la Reine de Saba[2], la nouvelle école américaine d’un si délicat réalisme.


I

Le premier des romans de Howells que nous ayons lu, le premier peut-être qu’il ait composé, à en juger par certaines longueurs et certaines digressions qui trahissent l’inexpérience, est intitulé the Undiscovered Country. Ce pays inconnu, ce pays non découvert encore, qui probablement ne le sera jamais et dont jusqu’ici nul voyageur n’est revenu, ce pays mystérieux, Hamlet en a déjà parlé, il a préoccupé plus ou moins l’imagination de chacun de nous :

  1. Voir le Caniche noir, dans la Revue du 15 décembre 1882.
  2. Voyez la Revue du 1er juin 1873, du 15 juin et du 1er juillet 1874, du 1er et du 15 avril 1878.