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nature, encadre dans de délicieux paysages italiens, ou quelqu’une des boutades éminemment modernes que Rhoda Broughton dirige, avec la pétulance inoffensive et charmante d’une enfant gâtée, contre les gens vertueux et formalistes de son pays, pour la plus grande gloire de l’héroïne coquette et du héros mauvais sujet, joliment peints, du reste, dans ce style facile et familier que des critiques moroses nomment non sans raison slipshod (en pantoufles).

Cette année, Rhoda Broughton elle-même manque à l’appel, et la dégénérescence du roman s’accuse en Angleterre comme elle ne l’avait pas encore fait. L’événement littéraire continue d’être, faute de mieux, depuis la dernière saison, ce John Inglesant de M. Shorthouse, roman philosophico-historique, un peu lourd, un peu diffus, et qui a le défaut particulier à de tels ouvrages hybrides, quel que soit d’autre part leur mérite, de ne satisfaire entièrement ni ceux qui cherchent l’histoire ni ceux qui sont avides de fiction. L’auteur avait pris soin de nous avertir d’ailleurs que, dans ces Mémoires d’un serviteur du roi Charles Ier, élevé par les jésuites, qui vient nous renseigner sur la rébellion irlandaise, sur le rôle des molinistes en Italie et sur d’autres sujets de son temps, il se croyait obligé de subordonner le roman à l’histoire, son but étant de démêler, au milieu des fils entrelacés d’une vie d’homme, le conflit engagé entre la civilisation et le fanatisme, le caractère du péché, l’influence subjective du mythe chrétien, et de nous prouver aussi que les cavaliers n’étaient pas sans exception des débauchés ou des brutes, de même que la grandeur spirituelle n’était point exclusivement le partage des puritains.

On assure que M. Gladstone et, avec ce juge éminent, toute la société anglaise, fait le plus grand cas de John Inglesant, et nous sommes loin de vouloir déprécier ce premier ouvrage d’un homme de quarante-cinq ans qui a profondément étudié son sujet ; nous tenons seulement à n’être point forcés de considérer les Mémoires en question comme un roman. Walter Scott a tiré meilleur parti de l’histoire et Nathaniel Hawthorne de la philosophie. Pour qu’un romancier appelle à son aide ces deux auxiliaires redoutables, il ne lui faut rien moins que du génie ; aussi le tour de force de M. Shorthouse, qui n’a que de la science, nous laisse-t-il froids. De son propre aveu, il sacrifie autant que possible le dialogue, l’effet pittoresque, l’imprévu de l’intrigue, bref les vulgaires moyens d’intérêt que goûtent, sans préjudice de qualités plus sérieuses, ceux des lecteurs de tous pays à qui les œuvres d’imagination sont spécialement dédiées. Que deviendront les véritables amateurs de roman, tandis qu’un petit groupe d’érudits fera ses délices des expériences politiques et religieuses de John Inglesant ? Il n’y aurait guère à leur usage que les badinages d’Anstey, dont