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quoiqu’il eût la parole nette et décidée, et s’il parlait, c’était, comme il le faisait il y a quelques mois, pour laisser échapper de son cœur de soldat une protestation sévère et indignée contre une proposition qui menaçait la discipline. Il avait apparemment plus que M. le major Labordère le droit de parler pour l’honneur de l’armée.

Un des traits les plus caractéristiques de ce vaillant homme, c’est qu’en étant un soldat dans le plus généreux sens du mot, il n’avait pour ainsi dire rien de soldatesque dans ses idées, dans sa manière de juger les choses de la politique. Il conciliait sans effort ses instincts militaires et des opinions libérales qui se résumaient, après tout, dans la fidélité à la loi. Député à l’assemblée nationale depuis 1871, mêlé au mouvement des partis sans se soumettre à leur joug, il avait dès les premiers momens appartenu à cette fraction parlementaire qui s’appelait le centre gauche et qui se ralliait bientôt à la république, — la république telle que l’entendait et la pratiquait M. Thiers. Il est resté toujours fidèle à cette république organisée et régularisée par la constitution de 1875. En acceptant la république comme le seul régime possible en France, il la voulait naturellement régulière, protectrice, libérale, et il n’a pas cessé un instant de garder un sentiment conservateur décidé. Évidemment, dans ces dernières années, il n’était ni pour ces prétendues réformes qui ne sont qu’un déguisement de l’anarchie, ni pour le bouleversement des lois militaires, ni pour les persécutions religieuses, ni pour toute cette œuvre de décomposition, de désorganisation poursuivie par des partis aussi violens qu’impuissans. Il était d’autant plus opposé aux fantaisies révolutionnaires érigées en système que, depuis son entrée dans la diplomatie il y a déjà quelques années, depuis qu’il avait été appelé à représenter le pays à Saint-Pétersbourg, il avait pu reconnaître les désastreux effets de cette politique pour l’influence morale, pour la considération et la bonne renommée de la France. Il se sentait offensé dans sa fierté, dans sa droite raison par une politique qu’il était censé représenter, qu’il ne pouvait cependant se résoudre à défendre devant des étrangers, et le gage le plus éclatant qu’il pût donner de sa fidélité à des idées de modération était de quitter ses hautes fonctions de diplomatie pour se renfermer dans la préoccupation unique, exclusive d’un intérêt national plus à l’abri des partis. L’avènement de M. Gambetta au ministère, il y a un peu plus d’un an, n’était peut-être qu’une occasion pour le général Chanzy comme pour M. le comte de Saint-Vallier. Dans tous les cas, l’ambassadeur à Saint-Pétersbourg ne mettait aucun subterfuge dans sa conduite. Il ne déguisait à M. Gambetta ni ses idées, ni ses dissidences, ni les motifs de sa retraite. C’était pour lui une manière d’attester par une résolution aussi désintéressée que ferme qu’il restait l’homme d’une autre politique, et cette loyauté