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Nous voulons parler du monde interlope qui s’y donne rendez-vous l’hiver. Chaque soir, les arcades de la place Masséna deviennent une succursale des trottoirs du faubourg Montmartre. Rien ne manque à la comparaison. Interrogez les honnêtes gens de Nice : ils vous diront que c’est le voisinage de Monte-Carlo qui leur a valu cette affluence de femmes perdues. Supprimez Monte-Carlo et leur immigration cessera.


IV.

Rendons justice aux habitans indigènes et étrangers des villes d’Antibes, Cannes, Hyères et Fréjus : peu d’entre eux ont sacrifié au veau d’or de Monte-Carlo. Les Antibois, gens aux mœurs simples et patriarcales, ne s’enflamment guère, et, sauf, hélas! une récente et trop tragique exception, c’est en vain que la société des jeux, pour les attirer chez elle, fait briller à leurs yeux ses meilleurs miroirs à alouettes. Est-ce la massive muraille qui enserre l’Antipolis moderne comme la pierre d’un sépulcre qui éloigne d’elle les étrangers? On le dirait. Il n’est pourtant pas, de Gènes à Marseille, de site plus romantique que celui sur lequel s’élève cette antique cité. Du haut de son ermitage, d’une ascension courte et facile, la vue s’étend au-delà des blanches neiges du col de Tende; elle fouille les profondeurs bleuâtres de l’Esterel, repose sur Cannes, les Lerins sombres, le golfe Jouan, rendez-vous habituel de l’escadre, et la baie de Nice. Dans cette direction, la perspective dépassant le promontoire de Villefranche ne s’arrête qu’aux caps italiens de Bordighera et de San-Remo. C’est aussi au Jardin botanique créé, il y a plusieurs années, par M. Turette dans un pli de terrain de la pointe d’Antibes que l’on peut voir la flore des tropiques et d’Australie mêlée aux plus beaux spécimens de la flore européenne. L’on y a très artistement ménagé des échappées de vue sur les Alpes et la mer, et rien de plus charmant qu’une promenade dans ce frais vallon, où les doux parfums des jasmins en fleurs se trouvent mélangés aux acres senteurs des aréquiers et des mimosas. Non loin de cette merveille, se rencontrent des déserts pierreux bordés de grandes roches contre lesquelles la mer se brise et rejaillit blanche d’écume, puis, des espaces couverts d’une végétation désordonnée. Des lentisques, des myrtes arborescens, des thyms aux touffes roses et parfumées, y disputent à des bouquets de plus maritimes un peu de terre et une place au soleil.

Depuis le jour où le noble fondateur de Cannes secoua la poussière de ses souliers aux partes d’Antibes, une sorte d’interdit