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1871, nous vîmes à Menton un grand nombre de jeunes officiers allemands, des adolescens, qui étaient venus s’y remettre des fatigues du siège de Paris. Beaucoup paraissaient exténués ; Monte-Carlo les acheva. Que la terre, — cette terre qu’ils étaient venus conquérir, — leur soit légère, mais qu’elle soit lourde à ceux qui ont fait inutilement périr, après les faciles triomphes de Metz et de Sedan, tant d’innocentes victimes!

En résumé. Menton ne sera une résidence d’hiver possible pour les étrangers malades, pour tous ceux qu’une émotion trop vive peut foudroyer, que lorsque les jeux auront disparu du littoral.

Nice souffre aussi, mais relativement moins peut-être que Menton, du voisinage de Monte-Carlo. On joue, par malheur, dans la première de ces villes, aux cercles Masséna et de la Méditerranée, tout autant qu’à Monaco. On y constate des ruines fréquentes et la perte de riches patrimoines. Nice se suicide : nous aimons assez cette charmante ville pour le lui dire. La passion du jeu a passé des hauts rangs de la société niçoise et étrangère dans ceux des travail- leurs, des petits commerçans; elle est même descendue jusqu’aux pauvres gens du port. Parcourez la ville en flâneur un jour de fête et vous verrez dans les vieux quartiers, sur les quais, des roulettes manœuvrant en plein vent. Le cercle Masséna, jaloux sans doute de l’opulence de Monaco, va s’établir sur le Paillon Ses salons de jeu sont trop étroits! Mais que dire de la municipalité de Nice, qui, au lieu de faire continuer le beau square où s’élève la statue de Masséna jusqu’à la promenade des Anglais, permet au cercle en question de construire sur la rivière? C’en est fait de l’aspect charmant qu’offrait la jolie place Charles-Albert, de l’admirable vue que l’on avait sur les coteaux fleuris de Cimiez! Et encore si c’était tout! Un mauvais génie a juré d’enlaidir Nice. On va construire, — et elle est sans doute achevée au moment où nous écrivons ces lignes, — une « réserve, » c’est-à-dire une de ces guinguettes si chères aux méridionaux, au centre de la baie unique au monde qui, partant des Ponchettes, finit au pont Magnan, là où commence cette jetée sans égale appelée la Promenade des Anglais. Pour la moitié de Nice, plus d’horizon sur la pittoresque pointe d’Antibes, sur les déchirures élancées, vaporeuses de l’Esterel et sur la mer; un pavillon absurde le coupera en deux. C’est sur la plage que l’on appelait « les terrains du roi » que va s’étaler ce ridicule écran !

Heureusement Nice a des points de vue à revendre, et, l’hiver prochain, le vaste boulevard de Cimiez sera relié au boulevard Dubouchage en passant par la propriété du Petit-Lycée. Ce sera l’une des belles voies du littoral et le plus merveilleux des panoramas.