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paraît ni riche, ni populeuse, ni luxueuse, ce qui vient à l’appui d’un fait bien digne d’être remarqué, c’est que Nice et Cannes ont vu s’accroître le nombre de leurs habitans en raison de leur éloignement de la principauté. L’on verra plus loin quelle augmentation vraiment surprenante s’est produite dans les villes d’eau d’Allemagne, à Ems, à Wiesbaden et à Hombourg depuis que les jeux y ont été abolis. C’est à peine si, depuis l’annexion à la France, la population de Menton s’est accrue de 2,000 individus, et encore pour gonfler les chiffres de son dernier recensement, indigènes et étrangers de passage y ont-ils figuré sans distinction de nationalité!

Encouragée, aidée par le gouvernement français, la ville de Menton, admirablement couronnée d’oliviers superbes et de monstrueux caroubiers, a pourtant tout à fait changé d’aspect. Cela saute aux yeux. On lui a construit des quais, amélioré un port, élevé une gare, ouvert des promenades et placé des squares bien peignés au bord de la mer. Les habitans, de leur côté, ont bâti de belles villas, des chalets, avec l’espérance que la douceur du climat et le voisinage des plaisirs de Monte-Carlo attireraient chez eux une foule de visiteurs. Quelle déception! les jeux n’ont attiré personne; au contraire, ils ont éloigné bien des malades auxquels la température de Menton eût certainement convenu, mais qui ont préféré les fuir par crainte des séductions, — pour eux trois ou quatre fois mortelles, — que l’on mettait avec trop d’intention à leur portée. Les malades, ennuyés du séjour quelque peu monotone de Menton, ont l’habitude d’aller chercher presque journellement à Monte-Carlo des distractions. Et comment n’iraient-ils pas? Ils y trouvent les journaux du monde entier, un excellent orchestre, un théâtre, la roulette, le trente-et-quarante, une collection de femmes qui n’ont jamais su refuser contre un équivalent en espèces n’importe quoi à n’importe qui. Mais les malades n’eussent-ils perdu que le contenu de leur porte-monnaie, de jolies pécheresses blondes ou brunes les eussent-elles mis sur la paille, le mal était réparable avec un peu de courage et d’honneur.

Le péril n’est pas là. Il est dans le froid glacial qui s’étend après le coucher du soleil sur les villes du littoral de la Méditerranée et auquel il est très dangereux de s’exposer en sortant surexcité ou en moiteur des salons sans air, étouffans de Monte-Carlo, Cette buée des crépuscules méridionaux est une sinistre pour- voyeuse de la mort. De là cette recommandation que les médecins italiens et français font à leurs malades et même aux personnes bien portantes : « Couvrez-vous à la chute du jour[1]! » Après

  1. Lire à ce sujet: la Méditerranée, la Rivière de Gênes et Menton, comme climats d’hiver et de printemps, par Jacques-Henri Bennet. Paris, 1880; Asselin.