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les plus grands noms d’Europe, vinrent se grouper autour d’elle. La fortune merveilleuse de Cannes était faite. Des terrains achetés 80,000 francs en 1831 par un passant se revendirent quelques années plus tard 3 millions, et cette progression prodigieuse a continué. Antibes a attendu pendant trente ans la venue d’un nouveau Brougham.


III.

S’il était vrai que les jeux eussent le don d’enrichir un pays et non une société d’industrie, la principauté de Monaco serait depuis longtemps blanche de palais de marbre, laissant bien loin derrière elle par son luxe et sa prospérité toutes les autres régions du littoral. Il n’en est rien : ses hôtels sont déserts; une tristesse morne se lit sur le visage de ses malheureux habitans et sur celui encore plus attristé des soldats de sa garnison ; un silence qu’aucun cri de joie ne trouble jamais, règne aux terrasses qui entourent l’établissement funeste. Certes, le Monte-Carlo d’aujourd’hui n’est plus le Monaco d’autrefois. De la chambre enfumée où je fis, en 1862, connaissance avec la roulette, les tables de jeu ont été transportées dans un véritable temple dédié à la fortune, au centre de salles somptueuses, où l’on peut du moins se ruiner élégamment et très à l’aise, quand des cartouches à dynamite n’y font pas explosion. Mais, sauf quelques établissemens religieux récens, un collège Saint-Charles dirigé par des jésuites, des franciscains et des carmes, Monaco a peu changé. J’ai dit, il est vrai, qu’au bord de la mer, près de la gare, à La Condamine, l’on bâtissait beaucoup; j’en ai donné la raison. Le prince, en prévision de la suppression possible des jeux, désire procurer à un grand nombre de petits rentiers auxquels l’entrée de la maison de jeu est interdite, des logemens à bas prix. Aujourd’hui, ces rentiers peuvent vivre à La Condamine à bon marché, presque sans impôt, mais quel changement s’opérera pour eux, quand disparaîtront les roulâtes, et avec elles les revenus les plus clairs du prince! Gare alors, pauvres gens, aux impôts, au monopole de la boulangerie et autres vexations !

Je crois que ce qui rend impossible un séjour prolongé à Monaco, ce qui maintient la solitude dans ses hôtels et fait déserter ses villas, c’est le contraste choquant entre les beautés d’une nature incomparable et les laideurs morales qu’on y coudoie. Personne mieux que George Sand n’a fait poétiquement ressortir ce contraste, et nous ne résistons pas au désir de reproduire ici ce qu’elle