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est quelque chose de plus pour M. Deschanel ; il en est l’achèvement, la perfection, le couronnement. Et quand il nous dit que son admiration pour les grands écrivains d’autrefois ou d’aujourd’hui « se tire du même fonds et des mêmes principes, » cela équivaut à dire qu’il reconnaît dans le romantisme l’épanouissement et la floraison de ce qui n’était encore qu’en germe chez les classiques. Le romantisme de Corneille, c’est ce que Corneille a tenté dans la tragédie pour approcher du drame de Victor Hugo ; le romantisme de Molière, c’est ce qu’il y a dans Molière qui semble préparer le drame de Victor Hugo; le romantisme de Racine, c’est ce qu’on entrevoit déjà dans Racine qui pourrait s’accommoder au drame de Victor Hugo. Et, plus généralement, ce qu’il y a de romantique chez les classiques, c’est ce qu’il y avait dans leur œuvre d’élémens susceptibles d’être utilisés par le romantisme. M. Deschanel appelle romantique dans le passé tout ce dont le romantisme a fait son profit dans un temps plus voisin de nous. Il appelle aussi nouveauté tout ce que l’on a vu successivement s’ajouter, pour devenir le romantisme, au fonds commun du classicisme.

C’est ici que nous nous séparons d’avec lui. M. Deschanel se fait évidemment d’un classique une autre idée que nous. Qui a tort? qui a raison? Nous allons en rendre le lecteur juge en essayant d’attacher à ce mot de classique un sens précis. On s’en sert un peu au hasard. Mais, à force de le vouloir faire large, il faudrait aussi prendre garde à ne le pas faire insignifiant.


II.

L’habitude s’est invétérée de croire que, si nous décernions à quelque écrivain que ce soit, poète ou prosateur, ce titre de classique, nous l’élevions, du fait seul de cette appellation, au-dessus de tous ceux que nous ne saluons pas du même nom. Mais nous ne faisons que l’en distinguer; et ce n’est pas du tout la même chose. Ne cherchons pas tant de finesses, et rapportons-nous-en tout naïvement à l’usage. En littérature, comme ailleurs, dans l’acception la plus modeste et en même temps la plus universelle du mot, un classique est tout artiste à l’école de qui nous pouvons nous mettre sans craindre que ses leçons ou ses exemples nous fourvoient. Ou encore, c’est celui qui possède, en un degré plus ou moins éminent, des qualités dont l’imitation, si elle ne peut pas faire de bien, ne peut pas non plus faire de mal. Vous ne risquerez évidemment rien, si vous prenez pour modèle de l’art d’écrire en prose l’Histoire de Charles XII ou le Siècle de Louis XIV, et, ne pouvant pas