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le Cid ? Et, quelques années plus tard, les admirateurs mêmes que comptait le poète parmi les beaux esprits de l’hôtel de Rambouillet ne furent-ils pas, comme on disait alors, de glace pour Polyeucte? Mais, inversement, si l’auteur de Zaïre et d’Alzire (que l’on me permettra de distinguer de l’auteur de Zadig et de Candide), n’est plus un classique pour nous, c’est justement que jamais homme ne fut moins romantique pour ses contemporains, je veux dire plus attentif à les ménager dans leurs superstitions littéraires, et les prendre lui-même par leurs préjugés. Molière et La Fontaine, Pascal et Bossuet, Racine et Boileau, Saint-Simon, Rousseau, Chateaubriand, Victor Hugo, tous classiques, n’est-il pas vrai? mais tous plus ou moins romantiques. Au contraire. Destouches et Lamotte, Nicole et Bretonneau, Dangeau, Marais, Luynes et Barbier mis ensemble, Grimm avec d’Alembert, et Saint-Lambert par dessus Morellet, Etienne et de Jouy, Scribe et Ponsard, pas romantiques du tout, si l’histoire est digne de confiance, mais aussi pas classiques. « On ne survit invinciblement qu’en raison de sa force ou de son génie, de même que c’était en raison de cette force et de ce génie qu’on avait commencé par déranger les habitudes d’esprit de ses contemporains, par les scandaliser, par les révolter, par soulever leurs critiques, leurs railleries et leurs injures, en faisant trou, comme un boulet, dans leurs préjugés, dans leur ancien régime poétique. » Et c’est pourquoi quiconque a d’abord été reçu d’un applaudissement universel de ses contemporains, et, ainsi, payé de sa gloire en monnaie de popularité, celui-là meurt avec les générations dont il a épuisé la faveur, et n’a rien à prétendre sur la postérité. Tel fut le cas de Mlle de Scudéri, tel fut le cas de l’abbé Delille, tel encore le cas de vingt autres. Faute d’avoir été suffisamment romantiques, ils ne sont pas devenus classiques. Le royaume de la gloire, selon le joli mot de Marmontel, ressemble au royaume des cieux. Regnum cœlorum vim patitur, et violenti rapiunt illud. On n’y pénètre que par escalade, effraction et bris de clôtures. En tenter seulement l’aventure, c’est être déjà romantique ; mais la mener à bonne fin, c’est vraiment être classique. De sorte que, si tous les romantiques, à la vérité, ne sont pas encore devenus des classiques, sans le vouloir; tous les classiques, du moins, sans le savoir, ont jadis commencé par être des romantiques. Et le comble du romantisme, par une conséquence inattendue peut-être, mais après tout qui ne semble pas laisser d’être assez logique, c’est le classicisme. « Si quelques personnes, dit M. Deschanel, ne partageaient pas toute notre admiration pour le XVIIe siècle, j’inclinerais à croire qu’elles ne connaissent peut-être pas non plus les meilleures raisons qu’il y ait d’admirer aussi le nôtre, dans lequel elles veulent s’enfermer... C’est du même fonds