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points extrêmes occupés aujourd’hui chacun par un bataillon et de l’artillerie, l’armée fait patrouille jusqu’à la frontière pour tenir en respect les Turcs et les Albanais, qui se préparent évidemment à la résistance pour le cas où les envahisseurs voudraient s’avancer plus loin que les limites traditionnelles de la Bosnie et de l’Herzégovine.

Après avoir, à Mokro, constaté la présence des ruines d’une vieille basilique chrétienne et de plusieurs autres restes d’antiques monumens, que j’étudiai aussi consciencieusement qu’il me fut possible de le faire dans cette rapide excursion, nous reprîmes le chemin de Serajewo, que nous regagnâmes, cette fois, par la grande route stratégique. Cette route est toute différente comme aspect de celle que nous avions suivie le matin : elle passe, en effet, par les sommets et donne une vue superbe sur deux énormes plateaux aux pics couverts de neige ; et après une descente de 12 kilomètres, ramène à Serajewo, dont le panorama se déroule aux pieds du touriste bien avant d’entrer dans le dédale des petites rues qui entourent la vieille citadelle.


VI.

Sans se prolonger au-delà des bornes raisonnables d’un repos nécessaire, après les rudes journées du voyage d’arrivée, mon séjour à Serajewo me permit encore de voir beaucoup de personnages distingués, parmi lesquels je citerai seulement le gouverneur de Bosnie, général Jovanovitch, qui me reçut avec la plus grande affabilité dans le konak, ou palais du gouvernement. Ce palais, situé près d’une des deux grandes mosquées de la ville, est une vaste construction en pierres, assez imposante, et précédée d’une grande cour entourée de murs et de grilles. A l’arrivée des Autrichiens, il était littéralement obstrué aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur par des monceaux d’immondices, et il dut être désinfecté de la cave au grenier pour être rendu habitable. Au premier, sont les bureaux et les archives, et, au second, les appartemens du commandant en chef. Le général Jovanovitch, qui parle très purement le français, voulut bien me questionner longuement sur mes impressions de voyageur et je dus lui avouer que j’avais constaté partout un mécontentement général. « Je le sais, me répondit mon illustre interlocuteur, mais j’espère que bientôt, quand les premières difficultés de la transition seront surmontées et nos intentions mieux comprises, les choses reprendront leur cours normal. Pour le moment, ce que le veux empêcher avant tout, c’est l’espèce de grève dont nous menacent les raïas, et j’ai donné les ordres les plus sévères pour qu’on punît de la prison tous ceux qui refuseraient d’ensemencer leurs terres. » Involontairement ma pensée se reporta vers le pauvre paysan dont j’avais été l’hôte, — un peu malgré lui, — sur la montagne